la Mauritanie à la croisée des chemins

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C’est une belle démonstration que la Mauritanie est sans doute en train de réussir: tout simplement celle du fait qu’il n’y a pas de fatalité en Afrique et que la volonté politique peut renverser les mauvaises habitudes héritées de décennies d’immobilisme et de dictatures. Pourtant, le pari était loin d’être gagné. Début août 2005, lorsque le colonel Ely Ould Mohamed Vall, directeur de la Sûreté nationale, et ses homologues, le colonel Mohamed Ould Abdelaziz…

(commandant du BASEP, la Sécurité présidentielle) le colonel Sidi Oul Riha (chef d’état-major de la gendarmerie nationale) et le colonel N’diaga Dieng, directeur de la Sonimex (Société nationale d’import export) renversèrent le président Ould Taya en promettant d’abandonner rapidement le pouvoir aux civils, ils furent accueillis par le scepticisme de la communauté internationale. Certes, aucune capitale étrangère ne regrettait le dictateur Ould Taya, mais des militaires qui promettent le rétablissement de la démocratie, l’Afrique ne nous y avait guère habitué. Moins de deux ans plus tard, le pari a pourtant été tenu. Non seulement les militaires ont quitté le pouvoir (Ely Ould Mohamed Vall s’était engagé à ne pas se présenter aux élections et il a tenu parole), mais des élections libres ont eu lieu et ont porté à la présidence Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdellahi, en mars dernier au cours d’un scrutin salué par tous les observateurs comme étant le premier à se dérouler sans fraude massive depuis l’indépendance, en 1960. Le tout après une transition vers la démocratie qui aura à peine duré dix-neuf mois !

Tout d’abord, le nouveau régime frappe par le changement de style. Ould Abdellahi, c’est d’abord la simplicité et transparence. C’en est fini, par exemple, des cohortes de ministres qui accompagnaient les anciens présidents à chacun de leur déplacement où les accueillaient à l’aéroport. Mais les dépenses somptuaires et autres pots-de-vin appartiennent eux aussi au passé. Le président a, d’emblée, réduit son salaire de 25%, suivi par ses ministres, et l’Assemblée nationale fait désormais obligation aux hauts fonctionnaires de déclarer leur patrimoine. Mieux : le budget de chaque ministère sera fonction de ses projets mais aussi et surtout de ses résultats.

Le changement d’époque ne se limite pas à un simple changement dans la manière de gouverner, sur le fond aussi, après quelques mois de réflexion – l’opposition, elle, qui a retrouvé le droit à la parole, préfère parler d’hésitations et de confusion – le pouvoir   issu des urnes a choisi de s’attaquer à trois problèmes qui gangrènent depuis trop longtemps la société mauritanienne, au point d’être devenus de véritables tabous : l’esclavage, la question des réfugiés négro-africains et le sort des victimes de la répression.
 
Ainsi, dans la soirée du 8 août dernier, l’Assemblée nationale a-t-elle adopté, à l’unanimité,  une loi criminalisant l’esclavage. Certes, celui-ci était officiellement aboli depuis 1981, mais chacun savait qu’il perdurait dans un pays où il était profondément ancré dans les mentalités et dans l’histoire. Du reste, le servage n’était pas seulement pratiqué par les Maures envers les négro-africains, mais existait également à l’intérieur des communautés négro-africaines. Désormais, les esclavagistes risqueront de cinq à 10 ans de prison et toute incitation à l’esclavage relèvera également des tribunaux. Et il ne s’agit pas là d’un texte purement cosmétique : la loi a été l’objet d’échanges intensifs et fructueux entre les élus et des ONG spécialisées, notamment SOS Esclavage et Anti-Slavery International. Ce dialogue a amené les parlementaires à durcir considérablement un texte qui pouvait paraître, initialement, un peu  mou. Reste, bien entendu, à encadrer, socialement, la libération des derniers esclaves.

Deuxième tabou brisé : celui du retour des réfugiés du Sénégal et du Mali. En avril-mai 1989, plusieurs dizaines de milliers de Mauritaniens noirs avaient été expulsés vers le Sénégal et le Mali suite à des affrontements interethniques avec des tribus maures, affrontements largement encouragés par le régime Ould Taya et qui avaient fait des centaines de morts. Le principe de ce retour – qui, ont décidé les parlementaires, concernera l’ensemble des « réfugiés », y compris leurs enfants, parfois Sénégalais d’origine mauritanienne – provoque une certaine agressivité et une peur évidente dans une partie de la population arabe qui craint d’être stigmatisée mais surtout de se retrouver en minorité, habituée qu’elle est à diriger le pays. Le « retour » pourrait concerner entre 70 000 et 90 000 Négro-africains Toucouleurs et Soninkés) installés dans près de 300 camps au Sénégal et quelques 30 000 autres (essentiellement des Peulhs), vivant au Mali.

S’attaquer au clivage « racial », sera désormais l’un des chantiers prioritaires découlant logiquement du retour des réfugiés. Mais ce ne sera pas chose aisée. Si, d’un point de vue religieux, la société mauritanienne est très homogène (99,4% de la population est musulmane…) il n’en est rien du point de vue ethnique puisqu’elle se divise en Maures « blancs » (les Beydanes, 30% de la population), en Maures « noirs » (les Haratines, 40% de la population) et en « Négro-africain » (30% de la population). Or, un passé de conflits et de razzias oppose les Maures aux Négro-africains qui, du temps de la colonisation française avaient pris l’habitude du pouvoir mais s’est retrouvée victime de la politique d’arabisation après l’indépendance.

Troisième tabou auquel s’attaque le nouveau pouvoir : celui de la réhabilitation des victimes de la répression, un dossier hérité des dernières années du régime Ould Daddah et des trois décennies de dictature militaire qui suivirent. Au fil des différents « complots » plus ou moins réels découverts par le régime, des milliers de civils et de militaires ont été emprisonnés pour des durées plus ou moins longues et souvent sauvagement torturés, des milliers de fonctionnaires ont été limogés et des centaines de personnes assassinées. Le gouvernement démocratique devra désormais ouvrir ce dossier, identifier les victimes, les réhabiliter et réparer ce qui peut l’être. Et ce, sans se lancer dans une chasse aux sorcières qui n’aurait plus beaucoup de sens et risquerait de diviser la société : plus de que de règlements de comptes – qui, de toutes façons, ne changeront rien au passé – la Mauritanie a besoin de justice. De ce point de vue, elle pourra s’inspirer avec profit de ce qui s’est fait au Maroc voisin avec l’IER, l’Instance Equité et Réconciliation.  

Dans le même mouvement, les autorités s’emploient à vivifier la démocratie : en août, 18 nouveaux partis ont été autorisés (ce qui porte à 53 le nombre de formations politiques nationales) en ce compris le Rassemblement National pour la Réforme et le Développement (RNRD) qui rassemble le courant islamiste « modéré », le Parti pour la démocratie Directe, proche des comités révolutionnaires libyens et deux partis dirigés par des femmes. La place des femmes dans la société elle est aussi à l’ordre du jour et un signal fort a d’ores et déjà été envoyé avec la nomination de Lematt Mint Awnen comme ambassadrice à Paris.

Reste que rien n’est gagné. Comme beaucoup d’Etats africains, la Mauritanie est un pays pauvre et jeune avec 46% de la population vivant sous le seuil de pauvreté et 43% de la population âgée de moins de 25 ans. Sujet d’inquiétude supplémentaire, selon un rapport récent, 1 enfant sur 2 quitterait l’école avant la fin des primaires sans espoir donc d’acquérir un jour une formation digne de ce nom. Rien d’étonnant dès lors à ce que la drogue et la délinquance – ces deux corollaires habituelles de la misère –  ne se répandent dans les rues de Nouakchott.

Mais surtout, dans l’ombre, silencieusement pour le moment, les islamistes armés attendent leur heure, sachant que la crise sociale est leur principal atout. En juin 2005, une caserne avait été attaquée à Lemgheity, dans le nord du pays, et quinze soldats avaient été tués. L’attaque avait été attribuée à des islamistes locaux encadrés par des terroristes algériens du GSPC (Groupement Salafiste pour la Prédication et le Combat). Depuis, plusieurs réseaux du GSPC et de l’AQIM (Al Qaïda au Magheb islamique) ont été démantelés (entre autres en juin 2006 et en avril 2007), preuve que le salafsime est bien là.

Intégrer le courant islamiste modéré tout en faisant résolument barrage au Salafisme et en resserrant la coopération sécuritaire avec ses voisins du Maghreb et d’Afrique Occidentale sera l’un des tests auxquels l’aptitude au changement du nouveau pouvoir sera jugé dans les mois à venir.