Lors de la 49ème session de la commission des Nations Unies sur les stupéfiants qui s’était tenue à Vienne en 2006, le royaume marocain avait souligné sa détermination à lutter contre le trafic de drogues en déclarant « priorité nationale » l’éradication de la production et du trafic de cannabis à l’intérieur de son territoire. Cet engagement a conduit Rabat à prendre des mesures fortes qui ont été depuis saluées par la communauté internationale, mais qui n’ont pas suffi à faire taire les critiques.
Si le bilan que l’on peut dresser aujourd’hui des résultats du gouvernement marocain en la matière est positif, il n’est peut être pas à la hauteur de ce que l’on pouvait en espérer. La question est de savoir pourquoi et surtout de comprendre la complexité du problème auquel les autorités marocaines se trouvent confrontées.
La lutte contre le trafic de stupéfiants doit prendre en compte plusieurs paramètres dont certains, souvent évidents et communs à l’ensemble des trafics illégaux, sont oubliés du fait même de leur simplicité : les stupéfiants font l’objet d’un commerce qui se fonde sur l’existence d’une offre et d’une demande qui sont toutes les deux illégales; les prix de vente ne sont pas fonction des coûts dérisoires de production mais de l’importance de la demande pour un produit interdit ; ce commerce étant illégal, il doit emprunter des routes tout aussi illégales qui peuvent être utilisées pour d’autres trafics ; l’importance des bénéfices engendre une masse d’argent qui permet de bénéficier à l’ensemble de la filière et donc en retour de favoriser la production ; enfin, une demande insatisfaite du fait d’une production insuffisante se reporte sur des produits de substitution. Comme nous essayerons de le montrer, les mesures de répression qui se focaliseraient sur un seul paramètre en négligeant les autres pourraient avoir des conséquences allant parfois à l’encontre des résultats escomptés.
Le Maroc était jusqu’à ces dernières années le producteur le plus important au monde de cannabis et il est toujours considéré comme le fournisseur de près de 80 % du marché européen. Cependant, selon les chiffres de l’Organe International de Contrôle des Stupéfiants (OICS), entre 2004 et 2005, le Maroc a réussi à réduire de près de 40 % les terres cultivées, réduisant les superficies de 120.500 hectares à 72.500 hectares. Il a en outre réduit dans des proportions encore plus importantes (61%), la production d’huile de cannabis, passant de 2700 tonnes en 2004 à 1066 tonnes en 2005.
L’intelligence des autorités marocaines a consisté à ne pas entreprendre une lutte brutale de destruction de la production de cannabis mais à l’accompagner d’une campagne de sensibilisation et surtout de la prise en compte du problème économique qui se pose aux paysans producteurs qui se voient privés de l’essentiel de leurs revenus. Le seul outil répressif à l’égard de paysans pauvres étant condamné à demeurer tout autant injuste qu’inefficace, une politique de cultures alternatives a été mise en place, en particulier par des plantations d’olivier. Cependant, qu’il s’agisse de cette dernière culture ou bien de celle de pommes, de vignes ou d’avocats, ayant déjà fait l’objet dans le passé d’expériences de solutions alternatives, il reste que la culture du cannabis est liée à un commerce d’un dynamisme bien supérieur à celui de l’agriculture ordinaire qui de par nature se heurte à la concurrence des marchés libres déjà bien approvisionnés.
Conscientes de cette réalité, outre les aides accordées aux paysans, les autorités marocaines ont accompagné l’éradication des cultures de cannabis d’une augmentation de la surveillance des voies d’acheminement en se dotant de moyens plus performants en matière de contrôle, qu’il s’agisse de moyens humains pour les contrôles internes, ou de moyens techniques pour le contrôle des frontières maritimes, terrestres et aériennes. Elles ont réussi ainsi quelques belles prises. En témoigne récemment la saisie de 3 tonnes de cannabis en juin dernier par la marine royale au large des côtes marocaines. Elles ont ainsi donné un signe fort tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, montrant leur détermination à ne pas limiter leur action à la destruction de plantations qui pourraient être reconstituées.
La réduction de la production, assortie d’un contrôle plus efficace des voies de transport, devrait a priori avoir pour effet de réduire le marché du cannabis. Malheureusement, cela n’est pas le cas. Car si les mesures d’éradication ont bien nuit à la production, elles n’ont rien changé à l’importance de la demande. La conséquence première de cet état de fait est donc l’augmentation du prix de vente du produit. La baisse de la production a engendré une valorisation de la marchandise qui rend d’autant plus attractive la culture du cannabis et qui permet au marché de se maintenir à un niveau équivalent en termes financiers même s’il se réduit en termes de production.
De ce fait, les expériences d’éradication menées dans la province de Larache en 2005 puis dans la province de Taounate, lancée en 2006 risquent de ne pas aboutir à des résultats durables si elles ne sont pas étendues aux autres provinces, notamment celles de Nador, Al Hoceina et Chefchaouen qui risquent de tirer profit des augmentations du prix du cannabis, pendant que les deux premières provinces se voient confrontées au problème de l’appauvrissement de la population, susceptible d’aggraver un exode rural déjà important.
La lutte contre la production de cannabis doit ainsi s’accompagner de la prise en compte de l’aspect financier du marché autant que de la production physique des plants de cannabis.
Cela ne semble pas avoir échappé au législateur marocain qui a introduit en janvier 2007 une loi contre le blanchiment de l’argent lié au trafic de drogues qui renforce les sanctions en les élevant au niveau de celles visant le trafic des êtres humains et les entreprises à caractère terroriste.
Cette loi est aussi un moyen de globaliser la lutte contre l’ensemble des trafics de drogues et pas seulement contre la culture du cannabis. Cela s’avère d’autant plus nécessaire que les mesures de contrôle des routes des trafics ont révélé l’apparition de nouveaux trafics de stupéfiants autres que le cannabis, en particulier la cocaïne et l’héroïne, qui empruntent les routes anciennement utilisées par les trafiquants de cannabis. C’est là un élément relativement nouveau qui mérite d’être souligné et que les saisies effectuées par les autorités marocaines confirment régulièrement depuis le milieu des années 90.
Les douanes et les forces de police se trouvent confrontées à un nouvel adversaire mieux organisé et mieux équipé : les cartels colombiens qui entendent tirer partie de la situation géographique du Maroc et de la relative porosité de ses frontières, notamment terrestres. On rappellera que le Nigeria occupe une place centrale en Afrique dans le trafic des drogues dures (cocaïne et héroïne) par ses liens avec les cartels colombiens pour la cocaïne et ses connexions avec le croissant d’or (Pakistan, Inde et Afghanistan) pour l’héroïne. Les réseaux entretenus par les gangs nigérians passent par l’ensemble du Sahel et aboutissent en partie au Maroc pour transiter vers l’Europe.
Les trafics de l’héroïne et de la cocaïne viennent ainsi s’ajouter ou parfois remplacer le traditionnel trafic de cannabis en aggravant les difficultés des autorités marocaines, contraintes de devoir augmenter les moyens humains et techniques destinés à empêcher l’entrée sur leur territoire de ces drogues étrangères. Ce qui revient à constater que l’effort déjà réalisé en matière d’équipement de contrôle des points de sortie maritimes et aériens ne suffira pas à enrayer ces nouveaux trafics qui constituent en quelque sorte une mutation des réseaux traditionnels.
L’importance et la puissance des réseaux qui ont su s’adapter aux nouvelles conditions du marché en adoptant des approvisionnements mixtes a été révélée au public en 2006 par l’arrestation de Chrif Bin El Ouidane et par le démantèlement du réseau de Moulay Ahmed Laâroussi. Dans les deux cas, les enquêtes ont mis à jour les complicités dont bénéficiaient les barons de la drogue au sein de l’appareil d’Etat. Elles sont probablement au mois pour partie, à l’origine de la restructuration des services de sécurité marocains.
On comprendra que la complexité du problème de la lutte contre le trafic des stupéfiants oblige les autorités marocaines à travailler sur tous ses paramètres en même temps et que le coût de l’effort est proportionnel au développement de ces trafics, c’est-à-dire qu’il est en augmentation constante, tant en matière sociale que politique et financière.
Les pressions exercées par les pays européens pour que le Maroc cesse de produire du cannabis et empêche que son territoire soit utilisé pour le transit de la cocaïne et de l’héroïne doivent s’accompagner d’une aide conséquente dans ces domaines pour permettre au Maroc de poursuivre son effort. Dans le cas contraire, les Européens risquent de se voir condamner à multiplier les saisies qui, comme celle réalisée par les douanes belges au mois d’août dernier dans le port d’Anvers ne manquent pas d’une certaine ironie : les onze tonnes de cannabis en provenance du Maroc étaient dissimulées dans des fûts à olives…
Ces mêmes Européens doivent aussi prendre conscience que la forte demande en provenance de leurs pays maintient une production à la hauteur de la demande susceptible d’introduire de nouveaux producteurs. En témoigne la découverte toute récente par les services de police de wilaya d’Alger (août 2007) de résine de cannabis produite à partir de plants cultivés en Algérie dans un champ de 5 hectares situé dans la région de Béjaïa. Cette production toute modeste en comparaison des surfaces utilisées par les trafiquants marocains n’est cependant pas à négliger, car elle s’ajoute à la découverte en avril 2007 d’une plantation de pavot et de cannabis de 17 hectares à Ksar Bahmou.
De leurs côtés, les autorités marocaines doivent convaincre les Européens et leurs voisins africains de la nécessité d’étendre la coopération entre services de police et de douanes.
La lutte contre le trafic de stupéfiants doit prendre en compte plusieurs paramètres dont certains, souvent évidents et communs à l’ensemble des trafics illégaux, sont oubliés du fait même de leur simplicité : les stupéfiants font l’objet d’un commerce qui se fonde sur l’existence d’une offre et d’une demande qui sont toutes les deux illégales; les prix de vente ne sont pas fonction des coûts dérisoires de production mais de l’importance de la demande pour un produit interdit ; ce commerce étant illégal, il doit emprunter des routes tout aussi illégales qui peuvent être utilisées pour d’autres trafics ; l’importance des bénéfices engendre une masse d’argent qui permet de bénéficier à l’ensemble de la filière et donc en retour de favoriser la production ; enfin, une demande insatisfaite du fait d’une production insuffisante se reporte sur des produits de substitution. Comme nous essayerons de le montrer, les mesures de répression qui se focaliseraient sur un seul paramètre en négligeant les autres pourraient avoir des conséquences allant parfois à l’encontre des résultats escomptés.
Le Maroc était jusqu’à ces dernières années le producteur le plus important au monde de cannabis et il est toujours considéré comme le fournisseur de près de 80 % du marché européen. Cependant, selon les chiffres de l’Organe International de Contrôle des Stupéfiants (OICS), entre 2004 et 2005, le Maroc a réussi à réduire de près de 40 % les terres cultivées, réduisant les superficies de 120.500 hectares à 72.500 hectares. Il a en outre réduit dans des proportions encore plus importantes (61%), la production d’huile de cannabis, passant de 2700 tonnes en 2004 à 1066 tonnes en 2005.
L’intelligence des autorités marocaines a consisté à ne pas entreprendre une lutte brutale de destruction de la production de cannabis mais à l’accompagner d’une campagne de sensibilisation et surtout de la prise en compte du problème économique qui se pose aux paysans producteurs qui se voient privés de l’essentiel de leurs revenus. Le seul outil répressif à l’égard de paysans pauvres étant condamné à demeurer tout autant injuste qu’inefficace, une politique de cultures alternatives a été mise en place, en particulier par des plantations d’olivier. Cependant, qu’il s’agisse de cette dernière culture ou bien de celle de pommes, de vignes ou d’avocats, ayant déjà fait l’objet dans le passé d’expériences de solutions alternatives, il reste que la culture du cannabis est liée à un commerce d’un dynamisme bien supérieur à celui de l’agriculture ordinaire qui de par nature se heurte à la concurrence des marchés libres déjà bien approvisionnés.
Conscientes de cette réalité, outre les aides accordées aux paysans, les autorités marocaines ont accompagné l’éradication des cultures de cannabis d’une augmentation de la surveillance des voies d’acheminement en se dotant de moyens plus performants en matière de contrôle, qu’il s’agisse de moyens humains pour les contrôles internes, ou de moyens techniques pour le contrôle des frontières maritimes, terrestres et aériennes. Elles ont réussi ainsi quelques belles prises. En témoigne récemment la saisie de 3 tonnes de cannabis en juin dernier par la marine royale au large des côtes marocaines. Elles ont ainsi donné un signe fort tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, montrant leur détermination à ne pas limiter leur action à la destruction de plantations qui pourraient être reconstituées.
La réduction de la production, assortie d’un contrôle plus efficace des voies de transport, devrait a priori avoir pour effet de réduire le marché du cannabis. Malheureusement, cela n’est pas le cas. Car si les mesures d’éradication ont bien nuit à la production, elles n’ont rien changé à l’importance de la demande. La conséquence première de cet état de fait est donc l’augmentation du prix de vente du produit. La baisse de la production a engendré une valorisation de la marchandise qui rend d’autant plus attractive la culture du cannabis et qui permet au marché de se maintenir à un niveau équivalent en termes financiers même s’il se réduit en termes de production.
De ce fait, les expériences d’éradication menées dans la province de Larache en 2005 puis dans la province de Taounate, lancée en 2006 risquent de ne pas aboutir à des résultats durables si elles ne sont pas étendues aux autres provinces, notamment celles de Nador, Al Hoceina et Chefchaouen qui risquent de tirer profit des augmentations du prix du cannabis, pendant que les deux premières provinces se voient confrontées au problème de l’appauvrissement de la population, susceptible d’aggraver un exode rural déjà important.
La lutte contre la production de cannabis doit ainsi s’accompagner de la prise en compte de l’aspect financier du marché autant que de la production physique des plants de cannabis.
Cela ne semble pas avoir échappé au législateur marocain qui a introduit en janvier 2007 une loi contre le blanchiment de l’argent lié au trafic de drogues qui renforce les sanctions en les élevant au niveau de celles visant le trafic des êtres humains et les entreprises à caractère terroriste.
Cette loi est aussi un moyen de globaliser la lutte contre l’ensemble des trafics de drogues et pas seulement contre la culture du cannabis. Cela s’avère d’autant plus nécessaire que les mesures de contrôle des routes des trafics ont révélé l’apparition de nouveaux trafics de stupéfiants autres que le cannabis, en particulier la cocaïne et l’héroïne, qui empruntent les routes anciennement utilisées par les trafiquants de cannabis. C’est là un élément relativement nouveau qui mérite d’être souligné et que les saisies effectuées par les autorités marocaines confirment régulièrement depuis le milieu des années 90.
Les douanes et les forces de police se trouvent confrontées à un nouvel adversaire mieux organisé et mieux équipé : les cartels colombiens qui entendent tirer partie de la situation géographique du Maroc et de la relative porosité de ses frontières, notamment terrestres. On rappellera que le Nigeria occupe une place centrale en Afrique dans le trafic des drogues dures (cocaïne et héroïne) par ses liens avec les cartels colombiens pour la cocaïne et ses connexions avec le croissant d’or (Pakistan, Inde et Afghanistan) pour l’héroïne. Les réseaux entretenus par les gangs nigérians passent par l’ensemble du Sahel et aboutissent en partie au Maroc pour transiter vers l’Europe.
Les trafics de l’héroïne et de la cocaïne viennent ainsi s’ajouter ou parfois remplacer le traditionnel trafic de cannabis en aggravant les difficultés des autorités marocaines, contraintes de devoir augmenter les moyens humains et techniques destinés à empêcher l’entrée sur leur territoire de ces drogues étrangères. Ce qui revient à constater que l’effort déjà réalisé en matière d’équipement de contrôle des points de sortie maritimes et aériens ne suffira pas à enrayer ces nouveaux trafics qui constituent en quelque sorte une mutation des réseaux traditionnels.
L’importance et la puissance des réseaux qui ont su s’adapter aux nouvelles conditions du marché en adoptant des approvisionnements mixtes a été révélée au public en 2006 par l’arrestation de Chrif Bin El Ouidane et par le démantèlement du réseau de Moulay Ahmed Laâroussi. Dans les deux cas, les enquêtes ont mis à jour les complicités dont bénéficiaient les barons de la drogue au sein de l’appareil d’Etat. Elles sont probablement au mois pour partie, à l’origine de la restructuration des services de sécurité marocains.
On comprendra que la complexité du problème de la lutte contre le trafic des stupéfiants oblige les autorités marocaines à travailler sur tous ses paramètres en même temps et que le coût de l’effort est proportionnel au développement de ces trafics, c’est-à-dire qu’il est en augmentation constante, tant en matière sociale que politique et financière.
Les pressions exercées par les pays européens pour que le Maroc cesse de produire du cannabis et empêche que son territoire soit utilisé pour le transit de la cocaïne et de l’héroïne doivent s’accompagner d’une aide conséquente dans ces domaines pour permettre au Maroc de poursuivre son effort. Dans le cas contraire, les Européens risquent de se voir condamner à multiplier les saisies qui, comme celle réalisée par les douanes belges au mois d’août dernier dans le port d’Anvers ne manquent pas d’une certaine ironie : les onze tonnes de cannabis en provenance du Maroc étaient dissimulées dans des fûts à olives…
Ces mêmes Européens doivent aussi prendre conscience que la forte demande en provenance de leurs pays maintient une production à la hauteur de la demande susceptible d’introduire de nouveaux producteurs. En témoigne la découverte toute récente par les services de police de wilaya d’Alger (août 2007) de résine de cannabis produite à partir de plants cultivés en Algérie dans un champ de 5 hectares situé dans la région de Béjaïa. Cette production toute modeste en comparaison des surfaces utilisées par les trafiquants marocains n’est cependant pas à négliger, car elle s’ajoute à la découverte en avril 2007 d’une plantation de pavot et de cannabis de 17 hectares à Ksar Bahmou.
De leurs côtés, les autorités marocaines doivent convaincre les Européens et leurs voisins africains de la nécessité d’étendre la coopération entre services de police et de douanes.