Depuis le déclenchement de la guerre en Afghanistan en octobre 2001, menée par la Coalition Occidentale et l’Alliance du Nord contre les Talibans[1], les jours d’Al-Qaeda[2] ont commencé le compte à rebours en Afghanistan, pour donner lieu à de nouvelles formes de groupements terroristes dans d’autres régions du Monde[3].
A cet effet, suite à la victoire des alliés occidentaux contre le régime des Talibans et après la Chute de Kandahar et la fin des opérations d’Anaconda[4], autour des montagnes de Tora-Bora[5] en décembre 2001, les Talibans et leurs alliés ont perdu l’essentiel de leurs forces organisées et leurs principales positions, ce qui a conduit un nombre important des Afghans Arabes[6] à retourner dans leurs pays d’origine, pour tenter de créer des petits Groupes armés ciblant des objectifs bien précis.
Ceci a accentué les problèmes sécuritaires dans le monde et a obligé les Etats victimes des attaques terroristes à poursuivre les membres contribuant dans ces opérations ou voire même ceux qui sont susceptibles de participer à d’éventuelles opérations terroristes.
Ces mesures sécuritaires préventives et rigoureuses ont conduit les membres d’Al-Qaeda à chercher d’autres alternatives et à changer de stratégies en explorant une nouvelle zone non-sécurisée pour développer les activités terroristes et afin de développer leurs objectifs en toute impunité.
Le choix d’Al-Qaeda a porté sur la zone Sahélo Saharienne[7], ce choix est justifié par la faible intervention des Etats de la région dans les larges zones désertiques sahariennes, ce qui garantit un cadre favorable au développement des trafics de toutes sortes, en commencant par le trafic de drogue, des armes et en arrivant au trafic des êtres humains, dans un cadre garantissant une habilitation totale à toutes les activités prohibées par la loi.
Le rêve de création d’un Grand Khalifat Islamiste néo-salafiste[8] basé sur l’interprétation rigoureuse des textes religieux Islamiques et sur la guerre sainte contre les ‘’infidèles’’, y compris les musulmans qui n’interprètent pas la religion musulmane de la même manière que les Djihadistes, semble réalisable à partir de cette zone[9].
Dans ce cadre, il est indispensable d’analyser les raisons réelles de la montée des activités terroristes entre les années 2001[10] et 2012[11], dans une conjoncture qui a été couronnée par le déclenchement du Printemps démocratique Arabe en fin 2010[12].
Il est également légitime de s’interroger sur l’impact et les chevauchements entre les enjeux sécuritaires et les aspirations populaires à la liberté et à la démocratie !
Y’a-t-il dans ce sens des points en commun entre les revendications démocratiques et populaires des peuples arabes et l’accroissement des activités terroristes au Sahel ?
Est-il antinomique de mettre dans le même panier Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI)[13] et les revendications populaires du Printemps Arabe?!
A priori, aucun lien n’existe entre les revendications populaires démocratiques arabes et le développement des activités terroristes au Sahel, vu que les mouvements salafistes[14] sont par définition anti-démocratiques et aspirent à l’instauration d’un seul Etat Islamique Uni et puissant basé sur la Charia[15], sans pour autant avoir recours aux règles démocratiques occidentales, qui sont selon eux contraires à la religion musulmane.
Néanmoins, si des liens directs semblent ne pas exister entre le Printemps Arabe et le développement des activités d’Al-Qaeda au Sahel, des liens indirects peuvent exister dans ce cadre.
AQMI et le Printemps Arabe
Il sied de signaler que le Printemps Arabe, appelé également le Printemps Démocratique ou les Printemps des peuples a commencé avec un grand espoir visant le changement de la situation dans le Monde Arabe, vers plus de liberté, d’égalité et de transparence.
Cependant, la résistance de certains Chefs Arabes, face aux volontés populaires et face aux revendications démocratiques a contribué d’une manière ou d’une autre au renforcement de l’insécurité au Sahel et au développement des activités des Djihadistes[16] du Groupe Algérien Salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC) qui ont formé le mouvement d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) le 25 janvier 2007[17].
Ainsi, le Colonel Kadhafi qui a compris que l’heure de la fin approche pour son régime a choisi de faire appel à des mercenaires étrangers pour combattre dans son clan contre les rebelles libyens.
Les sommes énormes d’argent attribuées à ces mercenaires ainsi que les armes fournies, ont probablement fini par tomber entre les mains des mouvements terroristes dans la région principalement AQMI[18].
Nous pouvons en déduire que les impacts du Printemps Arabe ont contribué ainsi au développement des activités d’AQMI, souvent sous-estimées par les Etats de la région voire même par les puissances étrangères.
Dans les années à venir, les conséquences de cette négligence peuvent être néfastes sur l’ensemble des pays de la région et également sur l’Union européenne et l’Occident en général, à moins que des efforts ne soient fournis en vue d’arrêter la propagation des fléaux terroristes.
Certains pays ont commencé à payer le prix de l’accroissement de ces activités terroristes au Sahel. Il s’agit particulièrement de la Mauritanie, du Mali, du Niger et l’Algérie[19].
Ceci n’exclut en rien que d’autres pays du Sahel et du Maghreb, seront susceptibles d’être affrontés à des situations critiques face à ce mouvement Djihadiste, riche puissant et bien organisé.
Les sources de la puissance d’AQMI.
AQMI dispose de ressources considérables pour le développement de ses activités terroristes, occasionnées par trois facteurs principaux, à savoir : Le facteur humain, le facteur matériel et le facteur lié à l’espace.
Ce mouvement se compose principalement d’éléments néo-salafistes formés en Afghanistan, habitués aux guérillas et qui sont renforcés par des nouvelles recrues néo-salafistes et des mercenaires professionnels.
Ainsi, plusieurs adeptes de l’idéologie néo-salafistes dans les pays arabes et dans certains pays européens sont cibles des recruteurs d’Al-Qaeda[20] et finissent par rejoindre ce mouvement par convictions profondes[21], en marquant un désintéressement total ou partiel quant à l’élément matériel.
En revanche, certains migrants sub-sahariens en besoin flagrant de nourriture et d’argent et cherchant des pistes sécurisées vers l’Europe, en passant par le Sahel et le Maghreb, finissent par être soudoyés par les Chefs d’AQMI[22].
D’autre part, il est légitime de s’interroger sur les liens existant entre les trafiquants mafieux d’armes, de drogue et des êtres humains au Sahel[23] et le mouvement d’Al Qaeda au Maghreb Islamique.
Comment dans cette zone où des éléments mafieux s’activent, et des néo-salafistes Djihadistes développent leurs activités, ainsi que des migrants traversent, nous n’avons jamais entendu parler de conflits ou d’incidents entre ses composantes cherchant des objectifs différents?!
Dans ce cadre, la réponse peut paraître évidente, les trois composantes ont trouvé des intérêts en commun et ont établi des pactes de coopération marqués par un équilibre de puissance[24].
Les mafieux ne sont jamais perturbés par les néo-salafistes et ces derniers ne sont jamais dérangés par les mafieux et c’est le cas également des migrants Sub-Sahariens.
Une troisième composante réside dans cette région et semble coopérer avec les trois autres composantes, il s’agit du mouvement du polisario[25].
Les liens entre le polisario et l’AQMI
Nul n’ignore le rôle flagrant de l’Algérie et de Kadhafi dans la création du polisario[26].
L’objectif ultime résidait depuis 1975 dans une conjoncture de Guerre froide à imposer au Maroc de faire face à un problème permanent qui empêche toute revendication des territoires du Sahara oriental annexés à l’Algérie par la France durant la colonisation française de l’Algérie. La création du polisario permet également de garder une carte de pression sur le Maroc, touchant sa souveraineté et sa stabilité.
L’Algérie qui subventionne et appuie ouvertement le polisario ignore probablement que cette carte utilisée contre le Maroc risque de se tourner à tout moment contre elle. Subséquemment, le principe de « l’autodétermination du peuple Saharaoui »[27], peut servir également de motif pour les Touaregs ou voire même pour les Kabyles aspirant à l’indépendance[28].
Le bras de fer entre l’Algérie et le Maroc est d’autant plus bénéfique pour les dirigeants du polisario qui profitent de cette situation de statut quo depuis 1975, pour recevoir les aides des ONG étrangères et qui finissent dans les marchés algériens, mauritaniens, maliens et nigériens[29], en laissant les séquestrés sahraouis dans des conditions inhumaines et en désespoir total.
Il n’est point secret qu’un nombre important de jeunes sahraouis résidant dans les camps de Tindouf, complétement désespérés et déboussolés, ont adhéré à AQMI, en changeant complétement de conviction ou en espérant toucher des rançons importantes en contrepartie de leurs services rendus aux Djihadistes[30].
Le recours de Kadhafi en 2011, lors de son combat contre les rebelles libyens, à certaines milices du Polisario[31] a permis à ces éléments de s’entraîner à la guérilla et à vendre cette expérience de guerre au mouvement d’AQMI[32].
Les liens entre le polisario et l’AQMI sont prouvés par l’état de paix entre les deux mouvements et par l’implication du polisario dans l’enlèvement des bénévoles occidentaux dans les camps de Tindouf[33].
Ainsi, les ONG et les Etats qui continuent de soutenir le polisario se trouvent d’une manière ou d’une autre coupables dans le développement des activités terroristes au Sahel.
Le rêve du Polisario et de l’Algérie consistant dans la création d’un Etat minuscule au Sahara laisse place à un autre projet d’Al Qaeda, à savoir la création d’un grand Etat néo-salafiste, en commençant par le Sahel et en arrivant au Grand Maghreb Islamique.
Il est temps de comprendre que la situation au Sahel ne permet plus la pérennité du conflit sur le Sahara marocain et il est temps de concevoir également que la lutte contre le terrorisme au Sahel passe en premier lieu par la fin des camps de Tindouf et par le renforcement du développement des pays africains et des pays sahélo-sahariens, afin d’arrêter toute propagation désastreuse des réseaux terroristes dans la région et dans le monde.
L’aggravation de la situation au Mali en janvier 2013, ainsi que l’intervention militaire de la France confirment la gravité de la situation et exigent la réflexion à des pistes plus sures successibles de mener à une stabilisation permanente et durable au Sahel.
Si l’approche militaire s’avère inévitable les conséquences peuvent être similaires aux conséquences des guerres en Afghanistan, en Iraq et en Libye. Au même temps où les activités terroristes ne peuvent plus êtres tolérées l’approche sécuritaire en elle-même ne peut jamais être l’unique et la seule solution.
Les issues possibles face à cette situation
L’approche sécuritaire ne peut nullement être la seule solution face à l’accroissement des activités terroristes au Sahel. D’autres solutions plus appropriées s’imposent en prenant en considération les enjeux et les défis en cours au Sahel.
La fin du conflit sur le Sahara marocain demeure une priorité, dans ce cadre, la proposition marocaine du Plan d’Autonomie[34], paraît comme une solution honorable pour l’ensemble des parties en conflit et permettra de trancher définitivement dans ce litige territorial politico-stratégique qui a trop duré et qui fait perdre aux peuples de la région des montants considérables d’argent et d’énergies qui pouvaient être mieux exploitées dans le développement économique des pays de la région[35].
La création du Grand Maghreb ou la renaissance de l’Union du Maghreb Arabe (UMA) est également une solution sûre, qui pourrait contribuer à la diminution des risques sécuritaires au Sahel, vu le poids qui pourra surgir de la coopération entre les cinq Etats de la région[36], ce qui renforcera l’espoir des jeunes maghrébins dans leurs pays et réduira le nombre de jeunes cherchant des alternatives désespérées.
Par ailleurs, les problèmes migratoires ne peuvent être réglés que par le développement des pays africains en besoin aigu d’aide. A cet égard, les grandes puissances, l’Union européenne et les pays du Maghreb ont un rôle pionnier à jouer en vue d’arrêter les causes de la migration à la source, à travers l’accroissement des investissements directs dans cette zone. Ce qui assurera le travail aux jeunes africains et permettra aux pays de la région de s’auto suffire et ne pas compter seulement sur les aides humanitaires.
Enfin, la démocratisation des systèmes politiques au Maghreb et au Sahel, peut-être la clé sûre visant le règlement de l’ensemble des problèmes sécuritaires dans cette région.
Abdelkader LAKHSSASSI
Chercheur au laboratoire de Recherches Frontières,
Acteurs et Représentations de l’Europe (FARE)
Université de Strasbourg.
[1] La seconde guerre d’Afghanistan de l’histoire contemporaine oppose d’abord, en octobre et novembre 2001, les États-Unis, avec la contribution militaire de l’Alliance du Nord et d’autres nations occidentales (Royaume-Uni, France, Canada, etc.), au régime taliban. Cette guerre s’inscrit dans la « guerre contre le terrorisme » déclarée par l’administration Bush à la suite des attentats du 11 septembre 2001 à New York et Washington.
[2] Un mouvement islamiste fondé par le cheik Abdullah Yusuf Azzam et son élève Oussama ben Laden en 1987. D’inspiration sunnite fondamentaliste, il prend ses racines dans l’idéologie de Sayyid Qutb et celle de l’activiste kharidjite Abdel Salam Faraj, et considère que les gouvernements « croisés » (occidentaux), avec à leur tête celui des États-Unis, interfèrent dans les affaires intérieures des nations islamiques et ce dans l’intérêt unique des sociétés occidentales. Il recourt au terrorisme pour faire entendre ses revendications.
[3] Après la Chute du régime des Talibans plusieurs membres d’Al Qaeda ont composé des petits Groupes terroristes dans des pays différents en changeant de tactique Djihadiste contre les Etats Unis et ses alliés.
[4] L’opération Anaconda est une opération dirigée par les États-Unis dans le but de détruire les forces talibanes dans la vallée de Shahi Kot dans la province de Paktia. Elle constitue les premiers combats de grande ampleur depuis les offensives de novembre 2001 qui ont vu la chute du pouvoir taliban. L’opération se déroule du 1er au 18 mars 2002
[5] « Poussière noire ») est un réseau de cavernes situées dans les montagnes de Safed Koh dans l’Est de l’Afghanistan
[6] Des combattants Arabes qui sont partis en Afghanistan pour combattre l’URSS et qui ont constitué le mouvement d’Al Qaeda.
[7] Une bande de territoires marquant la transition, à la fois floristique et climatique, entre le domaine saharien au nord et les savanes du domaine soudanien
[8] Le Néo- salafisme est un mouvement sunnite revendiquant un retour à l’islam des origines, sur la base du Wahhabisme, à la différence du mouvement salafiste classique ce mouvement fait recours aux méthodes térroristes.
[9] La zone Sahélo Saharienne.
[10] Année des attentats du 11 septembre
[11] La fin du Printemps Arabe
[12] Le « Printemps arabe » est un ensemble de contestations populaires, d’ampleur et d’intensité très variables, qui se produisent dans de nombreux pays entre 2011 et 2012.
[13] Une organisation islamiste armée d’origine algérienne qui s’active dans la région désertique du Sahel qui s’étend des régions semi-arides du Sénégal jusqu’à certaines parties de la Mauritanie, du Mali et du Niger
[14] Laura Raim, « Le salafisme, une présence faible, mais croissante » Le Figaro- le 17/09/2012
[15] Un Khalifat Islamiste au Sahel.
[16] Olivier Roy « N’incriminons pas le « printemps arabe », Le Monde- le 20/09/2012.
[17] AQMI était connue avant le 25 janvier 2007, sous le nom de Groupe algérien salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) avant son affiliation au réseau Al-Qaida et l’élargissement de ses activités terroristes et le renforcement de ses clans par des membres maghrébins, africains et autres.
[18] « Libye : mais où sont passés les missiles de Kadhafi ? » Leprogres.f- le 03/10/2011
[19] Charles Saint-Prot « La question de la sécurité au Sahel » etudes-geopolitiques.com- avril 2010
[20] AQMI cherche à convaincre des jeunes combattants à prendre refuge au Sahel pour la renaissance de l’Etat Islamique sur la base de l’idéologie salafiste.
[21] Le discours religieux basé sur une interprétation rigoureuse des textes sacrés de l’Islam est parmi les sources d’attraction des jeunes Djihadistes.
[22] AQMI cible certains migrants qui peuvent rejoindre ces clans en tant qu’éléments de renfort.
[23] Plusieurs groupements mafieux s’activent au Sahel et exerce des types de commerce illégal et illicite.
[24] THOMAS HOFNUNG « Dans les sables mouvants d’Aqmi au Sahel » Libération- le 07/05/2012.
[25] Le Front Polisario, de l’abréviation espagnole de Frente Popular de Liberación de Saguía el Hamra y Río de Oro, est un mouvement soutenu par l’Algérie, revendiquant l’indépendance du Sahara marocain.
[26] Saïd Saddiki « Le front polisario : une entrave a la complémentarité maghrébine »- polisario.eu.
[27] Un principe revendiqué par le polisario et l’Algérie, aspirant à l’indépendance du Sahara marocain.
[28] Kamel Daoud « Après l’indépendance des Touaregs, celle des Kabyles ? »- Kabyles.com
[29] L’OLAF accuse le Polisario et l’Algérie de détournement – Esisc- Le 30/04/2010.
[30] WASHINGTON (Article19) – Le « Polisario », est complice de l’AQMI, comme en témoigne le kidnapping de ressortissants occidentaux à Tindouf, s’est mué en « force d’appoint » de la guerre déclarée par AQMI et le « Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest » (MUJAO).
[31] « Libye : « 556 mercenaires du Polisario aux mains du CNT »- http://geotribune.com/1217-libye-556-mercenaires-du-polisario-aux-mains-du-cnt.html
[32] « Le Polisario fournit des mercenaires à Kadhafi »- Le Post- le 05/03/2011
[33] Ahmed Bey « Tindouf : le Polisario confirme l’enlèvement de deux Espagnols et d’une Italienne » Jeune Afrique- le 23/10/2011.
[34] Voir le texte intégral du projet d’autonomie du Sahara, présenté par le Maroc à l’ONU, en Avril 2007.
[35]« SAHARA OCCIDENTAL : LE COÛT DU CONFLIT » Rapport Moyen-Orient/Afrique du Nord N°65 – 11 juin 2007- Crisis Group
[36] Francis Ghiles « Le « non-Maghreb » coûte cher au Maghreb » Le Monde Diplomatique- Janvier 2010.
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