Algérie : Esclavage en Méditerranée, ce passé oublié qui interroge les demandes algériennes de réparations selon la chercheuse Marie-Claude Mosimann-Barbier (Le Figaro)

Alors que l’Algérie réclame régulièrement des réparations à la France pour les 130 années de colonisation, certains historiens rappellent qu’une partie essentielle de l’histoire de la région demeure absente du discours officiel algérien : celle de la traite et de l’esclavage pratiqués pendant plus d’un millénaire en Afrique du Nord, bien avant l’arrivée des Français.

La chercheuse Marie-Claude Mosimann-Barbier, maître de conférences honoraire à l’Ecole normale supérieure de Paris-Saclay, membre du GRER (groupe de recherche sur le racisme et l’eugénisme) de l’université Paris-Cité, souligne que le territoire algérien a longtemps été lui-même sous domination étrangère, romaine, arabe puis ottomane, et qu’il fut l’un des carrefours majeurs de l’esclavage méditerranéen.

Dès la fin du VIIᵉ siècle, après la conquête arabe de l’Egypte et du Maghreb, se met en place la traite transsaharienne. Des caravanes relient alors l’Afrique subsaharienne aux villes du Maghreb, apportant or, ivoire et esclaves. Ces derniers sont souvent razziés par des chefs locaux au profit de marchands arabes.

Les femmes sont destinées aux harems, les hommes aux armées ou aux galères, tandis que de nombreux jeunes garçons sont castrés pour devenir eunuques, une opération à la mortalité très élevée.

L’Empire ottoman, en prenant le contrôle du Maghreb au XVI siècle, poursuit et structure cette traite. Les historiens estiment que près de 18 millions d’Africains en furent victimes du VII au XXᵉ siècle, un chiffre supérieur, selon certains spécialistes, à celui de la traite atlantique.

Un second phénomène, rarement mentionné, concerne la capture d’Européens par les pirates barbaresques d’Alger, Tunis ou Tripoli. Si ces pratiques sont souvent associées à l’époque ottomane, elles sont attestées dès le IX siècle et prennent une ampleur considérable entre les XVI et XVIII siècles.

Les corsaires opèrent de deux manières, des razzias sur les côtes européennes (Espagne, Italie, Provence, Corse, îles grecques), où des villages entiers sont parfois vidés de leurs habitants ; l’attaque de navires marchands en Méditerranée, dont les équipages sont réduits en esclavage et les passagers rançonnés.

On estime à environ un million le nombre d’Occidentaux réduits en esclavage en Afrique du Nord durant cette période, et jusqu’à trois millions en Europe de l’Est. Les captifs sont utilisés comme ouvriers qualifiés, rameurs, domestiques, ou envoyés dans les harems.

Les conditions de détention, souvent décrites dans les récits d’époque, relèvent parfois du supplice : crucifixions, empalements, expositions publiques, tortures au feu.

Face à l’ampleur du phénomène, l’Eglise crée dès le XIIIᵉ siècle des ordres dédiés au rachat des captifs. Les Trinitaires, fondés en 1198, puis les Mercédaires en 1218, réunissent des fonds dans toute l’Europe pour libérer les esclaves chrétiens.

Ils ramènent des dizaines de milliers de prisonniers, dont Miguel de Cervantès, détenu cinq ans à Alger avant d’être racheté. Certains religieux vont jusqu’à se substituer à des captifs menacés de conversion forcée.

Pour limiter les exactions, plusieurs puissances européennes mènent des opérations militaires. La bataille de Lépante, en 1571, marque un coup d’arrêt temporaire à la puissance navale ottomane. Louis XIV ordonne à plusieurs reprises des bombardements d’Alger, notamment en 1683, pour obtenir la libération de captifs.

Au début du XIX siècle, les Etats-Unis eux-mêmes déclarent la guerre aux pirates barbaresques pour protéger leurs navires.

Lorsque la France débarque en 1830 à Sidi Ferruch, la guerre de course est déjà en déclin, mais 128 esclaves chrétiens se trouvaient encore dans les geôles d’Alger libérés par les Français.