Migrants en Tunisie : Entre répression et absence d’aide, le calvaire de Jonas et des milliers d’autres

Jonas, un Nigérian de 48 ans, a fui les violences ethniques dans le sud de son pays et est arrivé en Tunisie en novembre dernier, espérant y trouver un répit. Mais à son arrivée, il découvre un environnement hostile. S’exprimant sous pseudonyme par crainte d’expulsion, il raconte son périple à travers le Niger et la Libye avant de parvenir en Tunisie, où sa femme a donné naissance à leur premier enfant. Toutefois, en dépit de ses attentes, ils se retrouvent face à un système d’asile à l’arrêt et des autorités qui répriment sévèrement les organisations d’aide aux migrants, selon l’AFP.

« Je n’ai pas d’aide ici », confie Jonas, alors qu’il collecte des déchets plastiques dans une zone de Raoued, au nord de Tunis, pour les revendre. Il ajoute : « J’ai entendu dire que l’ONU avait plus de pouvoir ici, qu’ils aidaient les migrants, mais je n’ai trouvé personne. Alors je porte ma croix. »

La Tunisie, devenue une étape cruciale pour les migrants d’Afrique subsaharienne cherchant à rejoindre l’Europe par la mer, est également marquée par des tensions croissantes. En 2023, le président tunisien Kais Saied avait déclaré que les « hordes de migrants subsahariens » menaçaient de « changer la composition démographique » du pays, un discours qui a exacerbé les tensions sociales. Des affrontements ont éclaté, notamment après la mort d’un Tunisien, et des migrants ont été déplacés vers des zones inhospitalières où plusieurs d’entre eux ont trouvé la mort, selon Human Rights Watch.

L’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) a récemment dénoncé la criminalisation continue des migrants en Tunisie, soulignant que ces derniers se retrouvent souvent « privés de solutions d’hébergement et dans une situation dangereuse ». En juin 2024, le HCR a brusquement suspendu l’enregistrement de nouvelles demandes d’asile, une décision qui, selon un porte-parole de l’agence des Nations Unies, serait intervenue après « des instructions du gouvernement tunisien ». Les autorités tunisiennes, sollicitées par l’AFP, n’ont pas répondu.

Le gouvernement tunisien, dans un communiqué récent, a rejeté les accusations et affirmé adopter une « approche équilibrée », conciliant la protection des frontières, la souveraineté nationale et ses engagements internationaux. Cependant, cette position a été mise en cause par la société civile, qui a recensé au moins 10 arrestations parmi ses membres depuis que le président Saied a accusé les ONG d’être des « traîtres » en mai 2024. Parmi les détenus, on trouve Mustapha Djemali, président du Conseil tunisien pour les réfugiés, ainsi que Saadia Mosbah, militante antiraciste, et Sherifa Riahi, ancienne présidente de l’association Terre d’Asile Tunisie.

Au total, 14 organisations de la société civile ont suspendu partiellement ou complètement leurs activités, tandis que l’OMCT dénonce l’ampleur de la répression. Romdhane Ben Amor, du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), accuse l’Europe de « complicité » dans cette répression, rappelant que des accords signés par des dirigeants européens avec la Tunisie ont contribué à cette situation. En 2023, la Première ministre italienne Giorgia Meloni et Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, ont signé un accord de 105 millions d’euros avec la Tunisie pour limiter les départs de migrants.

Selon Frontex, les arrivées irrégulières en Europe via la Méditerranée centrale ont diminué de 59 % en 2024, une baisse attribuée à la réduction des départs depuis la Tunisie et la Libye. Cependant, un rapport présenté au Parlement européen a dénoncé des « violations de plus en plus graves des droits de l’homme » en Tunisie, notamment le renvoi forcé de migrants vers la Libye.

Pour certains Tunisiens noirs, le discours de Kaïs Saïed en 2023, qui a dénoncé l’arrivée massive de migrants subsahariens, ne fait que refléter une réalité raciste ancrée dans la société tunisienne. Une chercheuse anonyme a déclaré à l’AFP que, bien que la Tunisie se targue d’avoir aboli l’esclavage en 1846, elle n’a toujours pas résolu son « passif avec le racisme ». Selon elle, le président Saïed a simplement formulé des propos qui résonnent avec les préjugés présents chez une partie de la population tunisienne. 

Ainsi, pour des milliers de migrants comme Jonas, la Tunisie, loin de constituer un havre de paix, se révèle être un lieu de souffrance, d’isolement et de répression.