Algérie : Une république sous tutelle militaire : anatomie du pouvoir du général Saïd Chengriha

Depuis son indépendance en 1962, l’Algérie se définit constitutionnellement comme une république. Pourtant, derrière cette architecture institutionnelle, de nombreux chercheurs, observateurs et acteurs politiques décrivent un système profondément marqué par la prédominance de l’institution militaire.

Plus de soixante ans, après la fin de la colonisation de la France, auparavant la Turquie et autres, l’armée est devenue le centre du pouvoir, façonnant les trajectoires politiques, économiques et diplomatiques du pays.

Dès l’été 1962, l’Armée de libération nationale (ALN), constituée par des groupes ou milices, au moment de l’indépendance, s’est imposée rapidement face aux personnalités civiles qui ont combattues le colonialisme, dans la prise du pouvoir.

Cette emprise se consolide en 1965 avec le renversement du président Ahmed Ben Bella par le colonel Houari Boumédiène. Ce coup d’Etat marque un tournant décisif : l’armée, formée, structurée au départ par des officiers français, et par la suite par l’ex-URSS ainsi que ses pays satellites, ne se contente plus d’être un acteur parmi d’autres. Elle devient le cœur du pouvoir réel. Dès lors, l’état-major et les cercles sécuritaires structurent la vie politique, économique et sociale du pays.

Officiellement chargée de la défense nationale, l’Armée nationale populaire joue en réalité un rôle politique central. Elle intervient dans la désignation et la destitution des présidents, arbitre les crises majeures et oriente les grandes décisions stratégiques de l’Etat.

Avec ses services de renseignement militaire, un pilier fondamental du régime, sous différentes appellations, ils exercent un contrôle étroit sur la classe politique, les médias et la société civile, contribuant à maintenir un système de surveillance et de régulation permanente du champ politique, économique et sociale.

Dans ce contexte, les Institutions civiles, Parlement, Partis politiques, Gouvernements, apparaissent largement subordonnées. Les processus électoraux, régulièrement critiqués pour leur manque de transparence, peinent à produire une véritable légitimité populaire.

Les présidents successifs de l’Algérie ont souvent été perçus comme le résultat de compromis internes au sein de l’institution militaire. Leur autonomie reste limitée face aux centres de pouvoir informels. Le Front de libération nationale (FLN), ancien parti unique puis parti dominant, a longtemps servi de relais politique au régime, sans jamais s’affirmer comme une force indépendante capable de contrebalancer l’armée.

La restriction des libertés publiques, l’arrestation des journalistes, des opposants politiques, des militants associatifs et défenseurs des droits humains, constituent un autre trait du régime, sous l’angle sécuritaire de menaces contre l’unité nationale.

Sur le plan économique, la rente des hydrocarbures et les sociétés à leurs têtes des officiers militaires avec le dernier décret du président Abdelmadjid Tebboune sur instruction du général Saïd Chengriha, constitue le socle du système. Sa gestion opaque renforce les réseaux de pouvoir liés à l’armée et à la haute bureaucratie. Cette concentration du pouvoir économique favorise une corruption structurelle, rarement sanctionnée lorsqu’elle concerne des acteurs proches du régime.

Sur le plan extérieur, la politique étrangère algérienne est fortement marquée par les priorités sécuritaires de l’armée. Si le discours officiel insiste sur la non-ingérence, l’Algérie joue un rôle actif au Sahel et en Afrique du nord, perçu comme une profondeur stratégique. Cette implication, parfois entourée d’ambiguïtés, permet au régime du général Saïd Chengriha de se présenter comme un acteur incontournable de la stabilité régionale auprès de certains pays africains.

Tant que le rôle politique de l’armée ne sera pas redéfini et qu’un véritable pouvoir civil responsable devant les citoyens ne sera pas instauré, l’émergence d’un Etat de droit et d’une souveraineté populaire effective restera un horizon lointain.