Depuis le mois d’octobre, au moins 170 civils ont été tués lors de plus de 220 incidents qui se sont produits dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, d’après les médias et la recherche de Human Rights Watch.
Les forces gouvernementales ont tué plusieurs dizaines de civils, recouru à la force de manière indiscriminée et incendié des centaines d’habitations au cours des six derniers mois dans les régions anglophones du Cameroun, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.
Des séparatistes armés ont attaqué et enlevé des dizaines de personnes durant cette même période, exécutant au moins deux hommes, dans un climat marqué par une violence croissante et par la multiplication des appels à la sécession des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest.
La violence s’est intensifiée depuis octobre 2018, les forces gouvernementales ayant mené des opérations de sécurité de grande ampleur et les séparatistes ayant lancé plusieurs attaques. Le gouvernement camerounais devrait enquêter sur les allégations d’atteintes aux droits humains et garantir la protection des civils lors des opérations de sécurité. Les chefs séparatistes devraient immédiatement ordonner à leurs combattants et à leurs sympathisants de mettre fin à toutes les atteintes aux droits humains et de cesser d’entraver la scolarité des enfants.
Étant donné la persistance des affrontements et la difficulté à obtenir des informations dans des zones reculées, le nombre de civils décédés lors de ces incidents est probablement plus élevé.
Human Rights Watch a interrogé 140 victimes, membres de leurs familles et témoins entre décembre et mars, dont 80 en personne dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest en janvier.
À l’automne 2017, les forces de sécurité camerounaises ont réprimé des manifestations de grande ampleur organisées pour fêter l’indépendance symbolique des régions anglophones vis-à-vis des zones francophones du pays ; ces incidents ont fait plus de 20 morts parmi les manifestants. Depuis, l’émergence de groupes séparatistes armés s’est accompagnée d’attaques et d’une hausse de la militarisation des régions anglophones. Ces troubles ont provoqué le déplacement de plus d’un demi-million de personnes depuis la fin de 2016.
Les recherches menées par Human Rights Watch indiquent que, depuis octobre dernier, les forces de sécurité, dont des militaires, des membres du Bataillon d’intervention rapide (BIR) et des gendarmes, ont tué des civils, recouru à la force de manière indiscriminée, et détruit et pillé des biens privés et publics.
Lors d’un de ces cas, des témoins ont déclaré que les forces de sécurité camerounaises avaient attaqué en novembre le village d’Abuh, dans la région du Nord-Ouest, et réduit en cendres tout un quartier. Des images satellitaires et des preuves photographiques obtenues par Human Rights Watch montrent que jusqu’à 60 structures ont été détruites.
Le manque quasi-total de poursuites en justice lancées par le gouvernement pour les crimes commis par les forces de sécurité dans les régions anglophones a permis de protéger les responsables, et a alimenté les exactions.
Au moins 31 membres des forces de sécurité ont été tués lors d’opérations entre octobre et février dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, d’après des rapports crédibles émanant de médias et des informations recueillies par Human Rights Watch.
Des témoins ont déclaré que des séparatistes avaient attaqué des fonctionnaires, des enseignants et des élèves, les empêchant de rentrer chez eux ou de se rendre à l’école.
Le nombre d’enlèvements perpétrés par les séparatistes a aussi considérablement augmenté, y compris les cas de plus de 300 élèves de moins de 18 ans qui ont été enlevés lors d’au moins 12 incidents. Tous ont été libérés, pour la plupart après versement d’une rançon.
Lors d’un cas, un homme d’une cinquantaine d’années a affirmé que des séparatistes l’avaient enlevé et détenu dans le but d’obtenir une rançon quelques jours après l’élection présidentielle d’octobre, à laquelle les séparatistes étaient opposés, alors qu’il se rendait en voiture de Kumba à Buea, dans la région du Sud-Ouest. On l’a emmené dans une base reculée dirigée par les Forces de Restauration de l’Ambazonie (Ambazonia Restoration Forces, ARF), l’un des groupes séparatistes armés opérant dans les régions anglophones et affiliés au Gouvernement intérimaire d’Ambazonie, où il déclare avoir vu des combattants exécuter deux jeunes hommes. « On les accusait d’être allés voter », a-t-il précisé. « Ils ont été battus à mort. »
Les partenaires du Cameroun, en particulier la France, devraient accroître les pressions qu’ils exercent sur le gouvernement camerounais afin que les responsables soient tenus de rendre compte de leurs actes et s’assurer que tout soutien accordé aux forces de sécurité camerounaises ne contribue pas à des atteintes aux droits humains ou ne les facilitent pas.