Quel avenir pour le Nigéria ?

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Criminalité, corruption, conflits ethniques et sociaux, enlèvements…autant de termes que l’on entend régulièrement à propos du Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique, fort d’une production et d’un potentiel énergétiques considérables qui en font la troisième puissance du continent mais qui ne lui permettent pas pour autant de dépasser la trentième place dans le classement du développement humain des pays africains.

Le Nigeria est riche en pétrole et qui plus est d’un bon pétrole, du « Bonny light », à basse teneur en soufre, facile à raffiner. Le pays ne compte plus cependant aucune raffinerie capable de produire une goutte d’essence pour sa consommation domestique et il importe actuellement pour près de 1,8 milliards de dollars US de carburant par mois pour couvrir la totalité de sa consommation. La cause de cette situation : la criminalité, des conflits récurrents et des actes de terrorisme répétés. Les oléoducs qui approvisionnent les raffineries de Warri et de Kaduna ont, ainsi, été saccagés, pillés, vandalisés et les deux raffineries de Port Harcourt ont été fermées à cause des troubles sérieux et des affrontements armés ayant conduit tout récemment à l’instauration d’un couvre-feu. Mais les actes commis par les bandes criminelles constituent-ils les seules raisons  à cette situation qui ne cesse de se dégrader ?

Une forte criminalité existe bel et bien au Nigéria et a été particulièrement visible ces deux derniers mois dans la ville de Port Harcourt et dans l’ensemble du delta du Niger où se concentre la production pétrolière. Des bandes armées (souvent  constituées de très jeunes gens), règlent leurs comptes dans les rues et tuent ceux qui ont le malheur de croiser leur chemin. Ces gangs pratiquent le trafic d’armes, les enlèvements (les employés des compagnies pétrolières en sont les premières victimes, mais ils ne sont pas les seuls et de nombreux Nigérians ont, eux aussi, été kidnappés) et surtout, phénomène assez récent, ces bandes s’affrontent de plus en plus durement pour le contrôle du trafic de drogue. Car depuis quelques années, le golfe de Guinée est devenu un lieu de transit privilégié  pour la cocaïne en provenance des cartels d’Amérique du Sud et à destination de l’Europe et de l’Amérique du Nord. La situation anarchique qui règne dans le delta du Niger a bien évidemment attiré les trafiquants internationaux qui ont à présent tout intérêt à ce que le désordre perdure et à ce que le Delta devienne une zone sans loi, une zone grise de plus sur la carte de l’Afrique.

Il convient de rappeler que, si la situation se dégrade régulièrement depuis plusieurs décennies, ce sont les élections de 2003 qui l’ont aggravé, certains hommes politiques n’ayant pas hésité à armer des groupes de jeunes pour les aider dans leur conquête du pouvoir. Ces clans se sont ensuite reconvertis dans le pillage des oléoducs qui parcourent tout le delta pour revendre le pétrole ainsi prélevé à des navires qui attendent dans les eaux internationales d’être approvisionnés par des barges clandestines. Ce trafic très lucratif a permis à des gangs de se constituer d’impressionnants trésors de guerre, de s’approvisionner en armes et de s’affranchir ainsi des politiciens qui s’imaginaient pouvoir les contrôler.

Si de tels groupes criminels et incontrôlés n’ont pour objectif que d’asseoir leur puissance à des fins purement lucratives, il existe également, au Nigéria, des organisations pratiquant la violence à des fins politiques. C’est le cas en particulier du MEND (Movement for the Emancipation of the Niger Delta), un groupe encore assez mystérieux – ses structures et son importance sont mal connues – mais efficace qui mène des opérations de guérilla incessantes, ne reculant ni devant des enlèvements d’expatriés ni devant l’attaque d’installations pétrolières souvent bien protégées.  
Cela étant, si les méthodes du MEND sont évidemment détestables, il n’en reste pas mois qu’il justifie son action violente par un constat qu’il est difficile de contester : la région du delta du Niger est la moins développée du pays, alors qu’elle est à l’origine de sa richesse. Or, l’exploitation pétrolière intensive a engendré des nuisances environnementales ayant réduit considérablement les ressources de pêche et de chasse qui constituaient souvent le seul moyen de subsistance de la population locale et qui n’ont pas été compensées par des revenus pétroliers. Par ses actions très ciblées, le MEND cherche ainsi à empêcher l’exploitation des gisements pétroliers pour imposer une meilleure redistribution de la manne pétrolière. Il développe des capacités tactiques très réelles et a réussi jusqu’à ce jour à mettre en échec aussi bien la police et les Forces spéciale nigérianes que des groupes de sécurité privés de compagnies pétrolières étrangères.

Le MEND est très probablement lié à la Niger Delta People’s Volunteer Force (NDPVF), une organisation regroupant des membres de l’ethnie des Ijaws, une nation de près de 14 millions de personnes répartie sur six Etats de la région du Delta. Mais le Gouvernement central d’Abuja a refusé jusqu’à présent  de reconnaître l’aspect « politique » des actions du MEND et continue à le considérer comme un groupe purement criminel.

D’autres groupes dont on ne sait pas très bien s’ils relèvent du pur banditisme ou de la revendication politique armée apportent leur contribution à l’anarchie locale dans le delta du Niger comme les séparatistes apparemment liés au MASSOB (Movement for the Actualisation of the Sovereign State of Biafra) qui en amont du fleuve, concentrent leurs actions dans la région d’Onitsha, en utilisant des techniques similaires d’enlèvements et de harcèlement des forces nigérianes. Leurs luttes et revendications qui s’appuient sur la situation précaire des Ibos après la guerre sécessionniste de 1967 englobent la reconnaissance des ressources du delta du Niger comme partie intégrante du Biafra, alors que le MEND les revendiquent au nom de ma minorité des Ijaws.

Cette situation confuse et extrêmement volatile se traduit sur le plan économique par une baisse de la production du pétrole brut : 2,23 millions de barils/jour en 2006 contre 2,53 millions en 2005 qui entraîne naturellement une baisse des exportations : 1,8 millions de barils/jour en moyenne en 2006 contre 2,08 millions en 2005.

Face à cette situation dangereuse, compte tenu du fait que le pétrole représente 80 % des revenus du Nigeria et 95 % de ses recettes d’exportation, la question est aujourd’hui de savoir si les élections d’avril 2007 peuvent avoir un impact déterminant sur l’avenir.

Cette consultation a conduit au remplacement d’Olusegun Obasanjo par un politicien peu connu au Nigeria, Umaru Yar’Adua, ancien gouverneur de l’Etat de Katsina, imposé par Obasanjo au sein du PDP (People’s Democratic Party) après qu’en mai 2006, l’amendement constitutionnel visant à permettre à Obasanjo de briguer un troisième mandat eut été rejeté par l’Assemblée nationale. Elu Président après quinze ans de dictature militaire en 1999, Obasanjo avait été réélu en 2003 dans des conditions qui avaient suscité les critiques des observateurs internationaux.

Cependant, les élections générales d’avril 2007 (élections du Président, des députés, des sénateurs et des gouverneurs) ont engendré des critiques encore plus sérieuses. Dans son rapport final, la Mission d’observation électorale de l’Union Européenne relève que ces élections « ont été entachées par une très mauvaise organisation, un manque de transparence essentiel, des irrégularités généralisées et de procédure, des preuves évidentes de fraude, la privation de nombreux électeurs de leur droit de vote, l’absence de conditions égales pour les partis politiques et les candidats et de nombreux incidents violents. » Le rapporteur conclut que « les élections de 2007 n’ont pas été crédibles et que vu le manque de transparence et les preuves de fraude, on ne peut avoir confiance dans ces résultats » et demande une réforme urgente pour l’organisation des prochaines élections.

La position de l’Union européenne a suscité des réactions outragées de la part de la Commission électorale nationale indépendante du Nigeria (INEC), contrôlée, malgré son nom, par l’Etat mais le parti d’opposition Action Congress a naturellement salué le rapport de l’UE. Quant au président de l’Association des Chrétiens du Nigeria, l’archevêque catholique John Onaiyekan, il s’est déclaré favorable à l’organisation de nouvelles élections générales afin de rétablir la confiance de l’ensemble des Nigérians dans le processus démocratique.

Mais il est important de noter aussi que le président Umaru Yar’Adua a lui même reconnu que ces élections avaient été entachées de « certaines imperfections »et qu’il a décidé la mise en place d’une commission de 22 membres, chargée de réviser le système électoral du pays.

Par ailleurs, quelques décisions du même Président permettent de penser qu’il a  l’intention d’inaugurer des changements réels au sein de l’administration centrale. En témoigne sa décision, deux semaines après son investiture, de mettre à la retraite quarante haut gradés de l’armée, assortie d’une déclaration précisant que sous sa présidence, la règle qui veut que les militaires se retirent après l’âge de 60 ans ou après 35 ans de service serait strictement respectée. En témoigne aussi et surtout sa décision, au début du mois d’août, de limoger le directeur de la Société nationale de pétrole (NNPC), Funsho Kupolokun, et le chef de la police secrète, Kayode Are ; proches de l’ancien Président Olusegun Obasanjo et directement liés aux problèmes de la gestion de la crise dans le delta du Niger.

Ces quelques initiatives marquent en tout cas la volonté du nouveau Président de s’impliquer dans cette crise majeure pour le pays, en donnant quelques gages de sa bonne volonté dans le but de convaincre, sinon les bandes criminelles, du moins les groupes politiques rebelles,  de renoncer au recours systématique à la violence.

Il est encore trop tôt pour savoir si, comme l’affirme le vice-président Goodluck Jonathan, Umaru Yar’Adua « est une bénédiction pour le delta du Niger » mais il est permis de reconnaître que le nouveau Président  fait preuve d’une volonté politique sans précédent dans la résolution de cette crise qui est au centre des problèmes économiques et sociaux du pays. S’il conjugue à cette volonté, celle de redonner à ses concitoyens la confiance dans un système électoral crédible, le Président pourrait alors obtenir les moyens de réduire les troubles dans l’ensemble du Nigeria.