En effet, l’Affaire de l’ONG française Arche de Zoé d'évacuation vers la France de 103 enfants majoritairement tchadiens à bord d'un avion, de l'aéroport d'Abéché, dans l'est du Tchad, est un véritable cas d’école du risque de dérapages irresponsables et des crimes qui pourraient être commis sous le prétexte fallacieux d’aider les plus démunis.
Certes, nul ne saurait ignorer l’importance capitale de l’action humanitaire et son rôle prépondérant et salvateur dans les régions frappées par les guerres et la misère. Cependant, force est de souligner que l’action humanitaire ne rime pas forcément avec philanthropie et humanisme et n’est point exempte de zones d’ombres. Ses acteurs ne sont pas toujours animés de bonnes et bienveillantes intentions et ne manquent guère de brebis galeuses qui écornent leur image de marque et entament leur crédibilité et leur « capital confiance ».
Comment démêler les vraies associations qui agissent pour des raisons nettement humanitaires de celles qui sévissent pour des desseins purement mercantilistes, voire parfois criminels ? Comment lutter contre la traite des êtres humains commise par certaines associations ou certains pays?
Autant de questions qui se posent avec acuité et interpellent la communauté internationale pour faire face à un nouveau phénomène qui va en s’agrandissant, celui de ce qui est convenu d’appeler l’esclavage moderne.
Le Comité Spécial des Nations Unies chargé de l’élaboration du protocole additionnel à la Convention contre la criminalité organisée, relatif à la traite des personnes a adopté une définition internationale de la traite des êtres humains qui trace précisément les contours de ce phénomène devenu mondial et met tout le monde devant ses responsabilités.
Ainsi, l’article 3 du Protocole visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants stipule que « la traite des personnes désigne le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, par la menace ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation. L’exploitation comprend, au minimum, l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la servitude ou le prélèvement d’organes ».
Exploitation sexuelle, travail forcé, esclavage domestique, prélèvement d’organes, les formes du crime de la traite sont de plus en plus multiples et portent gravement atteinte aux droits fondamentaux de la personne et à la dignité humaine.
Ceci étant, force est de constater qu’il ne s’agit nullement d’un phénomène isolé, mais bel et bien d’une criminalité transnationale organisée et en pleine expansion. De nos jours, la traite des êtres humains est devenue un commerce très juteux aux ramifications denses et complexes qui rapporte chaque année plus de 27 milliards d’euros selon les estimations de l’Organisation Internationale du Travail.
Pauvreté grandissante, instabilité économique et politique, aspiration légitime à des conditions de vie meilleures sont des facteurs déterminants qui expliquent, en grande partie, la croissance extraordinaire du trafic humain dans le monde.
En intervenant dans une région conflictuelle et instable et avec l’afflux de plus en plus massif de réfugiés soudanais sur le sol tchadien, cette fameuse et louche affaire de l’Arche de Zoé ne manquerait pas d’éclabousser les ONG travaillant dans la région et d’avoir des retombées à plusieurs niveaux :
1- Retombées sur l’action humanitaire dans la région : doute sur les vrais desseins des ONG, méfiance des populations vis-vis des actions humanitaires et des travailleurs dans ce secteur qui pourraient être la cible de certaines attaques, etc. Cet état de fait pourrait décrédibiliser et affaiblir la légitimité de l’action humanitaire au Tchad et au Darfour et dans d’autres régions conflictuelles.
2- Séquelles sur les relations franco-tchadiennes : ayant déjà du mal à convaincre le Président Tchadien Idriss Déby d'accepter la présence sur son sol d'une force européenne (Eufor) chargée de stabiliser les zones en conflit, d'assurer un environnement stable pour les réfugiés ou les personnes déplacées et de permettre aux humanitaires de travailler sans entraves, la France se trouve de nouveau dans une posture difficile qui impacte sérieusement sa position et sa présence dans son ancienne colonie.
3- Récupération et instrumentalisation de cette affaire par le président tchadien qui ne pouvait espérer mieux. En effet, cette affaire tombe à pic, dans la mesure où elle sera utilisée à son avantage pour se positionner sur la scène nationale et reprendre une place sur la scène internationale, en essayant de tirer le meilleur parti possible de cette nouvelle carte.
L'affaire de l’Arche de Zoé n’est ni la première ni la dernière dans la série des violations des droits de l’homme et des crimes contre l’humanité. Il est temps que la communauté internationale prenne sa responsabilité vis-à-vis de ce crime qui frappe de plus en plus les pays africains, et que des solutions radicales soient trouvées pour éradiquer ce fléau inhumain et faire face aux multiples réseaux internationaux de rapt d'enfants.
Les ONG sont appelées à s’investir de plus en plus dans la lutte contre la traite des êtres humains et particulièrement celle des enfants. Cependant, elles sont acculées, et plus que jamais, à « s’humaniser davantage», à se professionnaliser et à s’écarter de toute activité malveillante ou illégale. Gare aux dérapages inhumanitaires !