Ethiopie : Grand barrage de la Renaissance, menace pour l’Egypte ?

Symbole de fierté nationale en Ethiopie, menace « existentielle » pour l’Egypte : le Grand barrage de la Renaissance (GERD) reste au cœur d’une tension vieille de plus de dix ans entre les deux pays, selon les experts.

Edifié sur le Nil Bleu, l’ouvrage colossal de 1,8 km de long, 145 m de haut et une capacité de 74 milliards de m³, rassemble un rare consensus en Ethiopie, pays fracturé par des conflits armés, notamment dans les régions de l’Amhara et de l’Oromia.

Pour Addis-Abeba, le GERD est une opportunité historique de développement et d’intégration régionale. « L’énergie et la croissance qu’il apportera profiteront à toute la région », répète le Premier ministre Abiye Ahmed.

Au Caire, la lecture est toute autre. Dépendant à 97 % du Nil pour ses besoins en eau, l’Egypte, 110 millions d’habitants, voit dans le barrage une menace directe. Ses ressources actuelles, 59,6 milliards de m³ par an, sont déjà insuffisantes face à des besoins estimés à 114 milliards.

« Quiconque pense que l’Egypte renoncera à sa sécurité hydrique se trompe », a averti Abdel Fattah al-Sissi, brandissant la possibilité d’actions prévues par le droit international.

Le Soudan partage ces inquiétudes. Avec Le Caire, il a réaffirmé fin juin son rejet de « toute mesure unilatérale » sur le Nil Bleu. Plusieurs médiations, menées par les Etats-Unis, la Banque mondiale, la Russie, les Emirats arabes unis ou encore l’Union africaine, ont échoué à rapprocher les positions.
Pour les autorités éthiopiennes, le projet s’inscrit aussi dans une logique de cohésion interne. « Le gouvernement utilise la confrontation avec ses voisins comme levier d’unité », analyse Alex Vines, de l’ECFR. Sur les réseaux sociaux, le GERD est largement célébré, chaque camp politique s’attribuant la paternité du chantier.
Malgré les tensions, de nombreux experts estiment qu’un conflit militaire est improbable. « L’Egypte ne bombardera pas le barrage », assure Magnus Taylor, de l’International Crisis Group. La priorité, selon eux, reste une gestion concertée des eaux du Nil : « Ce fleuve peut suffire à tous s’il est géré correctement », souligne le chercheur Abel Abate Demissie (Chatham House).
Pour Mohamed Mohey el-Deen, spécialiste de l’eau au Caire, une seule voie s’impose : l’adaptation. « Avec la mise en service du GERD, l’Egypte n’a pas d’autre alternative que de s’ajuster », tranche-t-il.