Cette révélation vient mettre en lumière une situation complexe qui envenime les relations algéro-marocaines depuis 30 ans. En effet, l’argumentation algérienne basée sur le « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » se trouve fissurée par ce document qui atteste que le conflit du Sahara n’est en fait que la résultante d’une stratégie de puissance, Alger voulant devenir le leader régional du Maghreb. En effet, Alger s’est positionné comme un ennemi farouche du plan marocain d’autonomie, avançant de nombreux arguments idéologiques, et notamment le droit à l’ « autodétermination du peuple Sahraoui ».L’idéologie trouve ses limites dans ce document, qui stipule que l’Algérie aurait « Proposé à Hassan II une solution de compromis sur le dossier du Sahara Occidental. Le Sahara contrôlerait ses affaires internes, sous la souveraineté du Roi, qui représenterait les sahraouis dans les organisations internationales ».Pour bien comprendre le dossier, un rapide retour en arrière est nécessaire.
L’affrontement n’eut pas lieu, l’occupation marocaine fut pacifique. En réaction de la décision de la Cour internationale de Justice , la Marche Verte annonça l’heure de la reconquête du Grand Maroc et la fin de l’occupation coloniale de l’Espagne entamée en 1884.
Mais cette expédition qui devait être pour le souverain chérifien une simple opération de chaises musicales, les Marocains remplaçant les Espagnols, va se transformer au fil des années en une partie de billard à trois bandes avec une multitude d’acteurs jouant leur propre partie.
Depuis 1975, au nom de ses droits historiques, le Maroc revendique l’annexion du Sahara occidental. Il occupe le territoire sur lequel, dès 1979, la Mauritanie a abandonné ses prétentions. De son côté, le Front Polisario, soutenu par l’Algérie, estime que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes légitime l’accession à l’indépendance de l’ancien territoire espagnol. Dans un premier temps, le conflit profite à chacun des pays limitrophes du Sahara, qui cherchent à consolider leur nouvelle autorité d’Etats souverains. Progressivement, il va cependant empêcher toute coopération bilatérale et bloquer la construction de l’Union du Maghreb Arabe , l’équivalent local de l’Union Européenne.
La position inconciliable du Maroc, du Polisario et de l’Algérie pose à la communauté internationale un sérieux problème auquel l’ONU tenta d’apporter une réponse. Malheureusement, en trente années de conflit, aucune solution n’a satisfait toutes les parties.
Ce conflit aura survécu à plusieurs secrétaires généraux de l’ONU, coûté 600 millions de dollars en fonds d’aides internationaux, épuisé des négociateurs de l’ONU dont James Baker qui proposa un plan en 2003.
Mais il a aussi produit des effets collatéraux sur les diplomaties Française, Espagnole et des USA, ensablées dans d’interminables palabres avec les deux frères ennemis du Maghreb.
Bien que la France s’en tienne officiellement à une position neutre, elle a depuis longtemps fait le choix , officieusement , de soutenir la politique Marocaine sur ce dossier épineux. L’Espagne, ancienne puissance coloniale serait plutôt pour l’organisation d’un référendum sur l’autodétermination des sahraouis tout en ménageant les autorités Marocaines qui savent que l’Espagne a besoin de sa participation dans la lutte contre l’émigration clandestine. Quant aux USA, ils verraient d’un bon œil que le Maroc et l’Algérie en finissent avec cette histoire qui depuis le choc du 11 septembre déstabilise une région où s’enracine peu à peu le terrorisme islamiste. Depuis peu, les américains ont même soutenu officiellement le plan d’autonomie marocain.
Aujourd’hui, la question du Sahara occidental est de nouveau au centre des délibérations de l’ONU. Le Maroc vient de surmonter à la surprise générale un tabou en proposant l’autonomie pour le Sahara occidental tout en gardant la souveraineté territoriale.
Le Polisario reste pour l’instant accroché à une solution intégrant un referendum sur l’autodétermination qui ne verra vraisemblablement jamais le jour comme le souligne Frank Neisse (ancien chargé de mission pour le compte du Ministère de la défense Français au Sahara occidental) : « pour la monarchie Marocaine, la cause sacrée de la récupération des provinces sahariennes a beaucoup trop lourdement hypothéqué la vie politique du pays pour que la monarchie s’engage dans une aventure électorale avant de s’assurer une victoire. Pour le Front Polisario, la consultation est capitale puisque, en cas d’échec, il cesserait d’exister en tant qu’acteur régional et international et serait à terme tout simplement rayé de l’histoire ». La marge de manoeuvre est donc étroite.
Cette longue guerre des sables aura eu aussi raison de l’idéalisme des débuts du mouvement de libération du peuple sahraoui et de son porte-étendard : le Front Polisario. En Algérie, dans les camps de réfugiés de Tindouf, le clientélisme entretenu par les dirigeants permet de contenir toute vélléité de contestation parmi les quelques 100 000 personnes vivant depuis trente ans de l’aide humanitaire internationale. Un Français Pierre Olivier Louveaux qui a passé l’été 2003 à Tindouf dans le cadre d’une mission humanitaire pour l’ONG Caritas en est revenu désabusé, il confesse son point de vue sur Internet : « Tous doivent quémander les faveurs des dirigeants dès qu’il s’agit de faire des études, d’accéder aux soins, de sortir des camps, certains proches du pouvoir ont accès à une vie plus confortable en bénéficiant de la télévision et de voiture 4×4, les autres vivant dans des conditions rudimentaires. » La soviétisation du mouvement, la fuite des figures historiques fatiguées par la guerre des chefs du milieu des années 80 montrent à quel point le contexte actuel n’est guère favorable au Polisario. Enfin, l’après 11 septembre est passé aussi par cette région qui pourrait si rien n’abouti, désespérer une jeunesse sahraouie en mal d’avenir qui pourrait se réfugier dans les bras des organisations basé au Sahel et ayant fait allégeance à Oussama Ben Laden comme le GSPC Algérien.
Face à tous ces enjeux et la crainte d’une situation délétère le roi Mohammed VI s’est montré fin stratège en s’appuyant sur une force émergeante de sahraouis établis au Sahara occidental qui ne supportent plus l’intransigeance du Polisario.
En réactivant le CORCAS (Conseil Royal consultatif des affaires sahariennes), le roi chérifien a opportunément relancé un processus en lambeaux et permis de faire entendre une voix dissonante sur la question des droits des sahraouis en espérant affaiblir le Polisario, leur unique porte-parole jusqu’à présent.
La clé du problème est maintenant entre les mains de l’Algérie, il semblerait qu’elle envisage désormais, par pur pragmatisme de se rallier à une solution négociée honorable pour les deux parties. En 2001, le président Algérien déclarait : « pour autant que nous puissions dire ce qu’est la troisième voie – c’est-à-dire une troisième voie qui ne détruise pas le rêve légitime des sahraouis et prenne en compte les intérêt fondamentaux du Maroc et des pays de la région- il est clair que nous serons les premiers à souscrire à une telle solution ». Le plan d’autonomie proposée par le Maroc pourrait incarner cette troisième voie à laquelle le Polisario devra se résoudre sous les conseils insistants de son protecteur Algérien. Mais au Maghreb où tout est question de forme, la fierté nationale est le pire ennemi de la réconciliation entre les peuples. Pourtant, l’image de Boutéflika l’Algérien et Mohamed VI le monarque chérifien se donnant l’accolade sur les dunes du Sahara Occidental — comme jadis en 1963 dans la célèbre photographie où Konrad Adenauer embrassait le Général de Gaulles, scellant ainsi la paix des braves entre les deux frères ennemis européens— marquerait les esprits et sonnerait les débuts du grand Maghreb et de son essor économique. L’on pourrait alors envisager le rapprochement entre les deux grands marchés économiques et une dynamisation des échanges « Nord-Sud » entre l’Union Européenne et le Grand Maghreb en ayant en tête la phrase de François Mitterrand prononcée au sein du Parlement européen : « les nationalismes conduisent aux guerres, l’Europe préserve la paix ».