La Tunisie a instauré une séparation entre ses visiteurs : certains hôtels étaient dédiés presque exclusivement aux touristes algériens, tandis que d’autres accueillaient uniquement les européens. Une pratique officieuse qui révèle les fragilités de la stratégie touristique du pays.
Dans les stations balnéaires de Hammamet, Sousse ou Djerba, plusieurs établissements ont été affectés en priorité à la clientèle algérienne. D’autres complexes ont accueilli presque exclusivement que des occidentaux.
« Quand nous sommes arrivés à Hammamet, on nous a expliqué que certains hôtels n’étaient plus accessibles pour nous. On nous a orientés vers des établissements “familiaux”, remplis à 90 % d’Algériens. On avait l’impression d’être parqués », raconte Samir, 42 ans, venu d’Alger avec sa famille.
A l’inverse, plusieurs établissements haut de gamme, partenaires de tour-opérateurs étrangers, ont été « sanctuarisés » pour ne recevoir que des touristes en provenance d’Europe.
« Nous avons réservé depuis Paris un séjour. L’hôtel était magnifique et très calme. Mais sur place, un employé nous a glissé que “les Algériens n’étaient pas acceptés ici cet été”.
Sur le coup, ça m’a choqué, car je ne pensais pas qu’il pouvait y avoir une telle séparation », confie Caroline, 34 ans, venue avec son compagnon.
Cette répartition officieuse répondait à deux logiques, économique, car les européens paient en devises fortes et offrent de meilleures marges et socioculturelle.
Les habitudes diffèrent selon un gérant hôtelier, les européens privilégient le repos, le bien-être et les excursions culturelles et les algériens voyagent en familles élargies, avec un style plus collectif.
« J’ai essayé de réserver dans un hôtel à Sousse, mais on m’a dit qu’il était complet. Pourtant, mes amis français ont réussi à avoir une chambre la même semaine. C’est difficile de ne pas se sentir discriminé », déplore Amina, 29 ans, originaire de Constantine.
Le ministère du Tourisme tunisien n’a jamais reconnu cette politique, mais plusieurs hôteliers de Hammamet et Sousse admettent que des instructions avaient circulé dès le printemps :
« Certains hôtels devaient rester purs Européens, d’autres purs Algériens. Cela évitait les conflits et protégeait les marges », explique un directeur d’établissement sous couvert d’anonymat.
D’après le témoignage d’un employé hôtelier : « On nous a clairement demandé d’orienter les réservations. C’était gênant, surtout quand des Algériens voulaient réserver dans un hôtel “européen”. Mais les consignes étaient strictes ».
Si cette ségrégation venait à être officialisée, elle pourrait alimenter un ressentiment en Algérie, premier marché touristique pour la Tunisie avec plus de trois millions d’entrées par an.
Pour l’instant, la séparation reste discrète, mais beaucoup d’acteurs du secteur estiment qu’elle pourrait perdurer, tant elle sert les intérêts financiers immédiats de la filière.
« Nous aimons la Tunisie, c’est proche et abordable, mais si on continue à nous traiter comme des clients de seconde zone, beaucoup d’Algériens vont se tourner vers d’autres destinations », prévient Samir, rencontré à Hammamet.
