Trafic d’importations, détournement d’aides européennes et réseaux d’influence : une enquête révèle comment la cheffe du Croissant-Rouge algérien (CRA) Ibtissem Hamlaoui a su étendre son pouvoir jusqu’aux plus hautes sphères par séduction du président Abdelmadjid Tebboune ou de son fils Khalid Tebboune ?
Le 11 juillet 2023, une opération sécuritaire provoque un choc sur la scène publique algérienne : plusieurs individus sont arrêtés pour avoir exploité le nom du Croissant-Rouge algérien (CRA) dans des opérations d’importation frauduleuses. Les premiers titres évoquent un “réseau criminel se faisant passer pour le Croissant-Rouge”. Mais l’enquête révèle rapidement une réalité plus complexe et bien plus dérangeante : le réseau n’usurpait pas l’identité de l’organisation, il en faisait partie intégrante.
L’affaire éclate à peine trois jours après l’assemblée générale du Croissant-Rouge algérien. Selon les premiers éléments de l’enquête, les mis en cause utilisaient les exonérations douanières accordées aux opérations humanitaires pour importer, sous couvert d’aide internationale, des marchandises à visée purement commerciale : pièces de rechange, huiles automobiles et autres produits de consommation, venus de divers pays étrangers.
Huit personnes sont interpellées, dont Ratiba Achour, alors directrice de la coopération extérieure du CRA. Contrairement à ce qu’ont affirmé plusieurs médias d’Etat, elle n’usurpait pas l’identité de l’organisation : elle en était bel et bien un cadre dirigeant. Son rôle aurait été crucial dans le système de dédouanement frauduleux, en signant les documents officiels au nom du Croissant-Rouge sur ordre direct de la présidente Ibtissem Hamlaoui.
Deux employés du Haut-Commissariat pour les réfugiés sahraouis figurent également parmi les interpellés. Le mari de Ratiba Achour, gérant d’un bureau de fret international, reste en fuite sans être inquiété. Les marchandises illégalement importées ont été revendues sur les marchés de l’Algérie, impliquant, selon plusieurs sources, Bouhbeini Yahia, président du ‘’Croissant-Rouge sahraoui du Polisario’’, présenté comme l’un des principaux bénéficiaires de l’opération avec le chef du Polisario Brahim Ghali.
Mais l’enquête révèle une dimension encore plus explosive. Une grande partie des aides humanitaires financées par l’Union européenne et destinées aux camps sahraouis de Tindouf ont été également détournée.
Selon des sources concordantes, des cargaisons entières de vivres, médicaments et matériels logistiques fournis par l’Europe dans le cadre de programmes d’aide humanitaire ont été siphonnées dès leur arrivée, puis réintroduites dans le circuit commercial algérien ou exportées vers l’Afrique.
Une pratique que les institutions européennes connaissent, mais que Bruxelles a longtemps préféré ignorer, faute de mécanismes de contrôle indépendants dans la région de Tindouf.
L’affaire prend une tournure politique et judiciaire explosive. Plusieurs observateurs soulignent qu’en Algérie, de nombreux citoyens sont aujourd’hui emprisonnés sur la base de simples conversations privées interceptées, alors que les véritables réseaux de corruption, eux, bénéficient souvent d’une protection implicite.
Le “scandale Hamlaoui” en devient l’illustration la plus frappante : une figure publique intouchable, protégée par ses relations avec le sommet de l’Etat.
Peu connue du grand public il y a encore quelques années, Ibtissem Hamlaoui a gravi les échelons du Croissant-Rouge algérien à une vitesse fulgurante. Présentée comme une technocrate dynamique et une femme d’influence, elle s’est imposée comme une interlocutrice incontournable dans plusieurs cercles de décision à Alger, bien au-delà de ses fonctions officielles.
Ses relations supposées avec certains membres de l’entourage présidentiel alimentent les discussions en coulisses. Officiellement, rien ne filtre. Officieusement, les langues se délient : plusieurs sources évoquent une “capacité de nuisance” liée à sa proximité avec le pouvoir et à la possession de “dossiers sensibles” concernant certains hauts responsables du régime.
Au-delà du scandale, l’affaire Hamlaoui illustre une mécanique de pouvoir typiquement algérienne : celle d’un système où les influences se tissent dans l’ombre, où les institutions humanitaires deviennent des instruments d’enrichissement personnel et d’allégeance politique.
Dans cette Algérie du président Tebboune, les affaires d’Etat se mêlent aux intrigues du palais d’El Mouradia. Ibtissem Hamlaoui incarne, selon plusieurs analystes, une forme de pouvoir souterrain et opaque, reflet d’un régime où les loyautés se négocient davantage qu’elles ne se méritent.
Le démantèlement du réseau du “soi-disant faux Croissant-Rouge” ne se résume donc pas à une simple affaire de contrebande. Il révèle la porosité entre les sphères humanitaire, politique et économique, et l’étendue des complicités qui gangrènent les institutions publiques.
