Algérie : Boualem Sansal, une libération sous pression allemande, un revers pour le régime militaire algérien

La grâce présidentielle de Boualem Sansal, sur demande de l’Allemagne, si elle devait être accordée, pourrait être présentée par la communication officielle comme un « geste humanitaire ».

En réalité, une libération sur demande expresse du président Frank-Walter Steinmeier, serait perçue à l’intérieur du régime, comme une humiliation diplomatique et une atteinte à la souveraineté politique que le pouvoir militaire algérien revendique comme ligne rouge, selon une source proche du président Abdelmadjid Tebboune.

Depuis des années, les militaires algériens cultivent une image de résistance face à la France et, plus largement à l’Europe. La junte se veut le dernier bastion d’un nationalisme postcolonial qui refuse toute ingérence occidentale.

Or, céder à Berlin, qui s’exprime publiquement, par la voix du président Frank-Walter Steinmeier, reviendrait à reconnaître que la décision judiciaire algérienne peut être infléchie par des pressions étrangères.

Le pouvoir algérien fonde sa légitimité sur un récit de continuité historique : celui d’un État issu de la guerre d’indépendance, maître de ses choix, insensible aux injonctions extérieures.

Une grâce concédée à la suite d’un appel européen contredirait ce récit et donnerait l’image d’un pouvoir soumis aux capitales occidentales, tout particulièrement au moment où Alger cherche à se poser en acteur autonome sur la scène internationale.

Les cercles militaires et les services de renseignement du général Saïd Chengriha, qui constituent l’épine dorsale du régime, y voient un dangereux précédent : si la pression internationale suffit à faire plier le chef de l’Etat sur le cas d’un écrivain, elle pourrait demain concerner des prisonniers politiques, des journalistes, voire l’autonomie ou l’autodétermination de la Kabylie.

C’est pourquoi, même si la présidence algérienne évoque publiquement la demande allemande, elle le fait avec prudence, pour tester la réaction de l’opinion et de l’appareil sécuritaire militaire.

A l’intérieur du pays, le régime utilise depuis longtemps la rhétorique anti-occidentale pour justifier la répression et entretenir un réflexe de méfiance nationale.

Une libération « sur injonction étrangère » ruinerait ce discours : elle donnerait l’image d’un pouvoir qui n’agit plus par conviction souveraine, mais sous contrainte étrangère.

Dans un contexte de fragilité politique, un chômage massif, une baisse du pouvoir d’achat, grogne dans les wilayas intérieures, et défiance persistante envers le Hirak, un tel geste serait immédiatement exploité par les opposants.

Les militaires pourraient reprocher à Tebboune d’avoir cédé à la pression des Européens, et certains analystes évoquent même le risque d’un désaveu du président du chef de l’Etat-major par les cercles les plus durs du régime.

Sur le plan extérieur, une libération exigée par l’Allemagne serait perçue à Bruxelles comme une victoire de la diplomatie européenne, mais à Alger comme une perte de face.

Le régime, qui s’efforce de jouer les équilibristes entre son partenariat gazier avec l’Europe et ses liens militaires avec la Russie, se retrouverait piégé entre deux logiques contradictoires : afficher une posture nationaliste pour satisfaire sa base intérieure ou maintenir un minimum de coopération économique avec les Européens pour préserver ses revenus d’hydrocarbures.

Le président Abdelmadjid Tebboune est pris au piège d’un dilemme :

1- Refuser la grâce, c’est accentuer la rupture avec Paris et Berlin et prolonger l’image d’un régime autoritaire, fermé et anachronique ;

2- Accorder la grâce, c’est saper l’autorité symbolique de l’Etat et offrir à l’armée le prétexte pour resserrer son contrôle sur la présidence.

Quelle que soit la décision, Tebboune en sortira affaibli : soit face à l’Occident, soit face à ses propres généraux, et Boualem Sansal reste un otage malgré lui, confie un officier militaire algérien.