Contrairement aux autres dirigeants arabes qui ont tardé à réagir aux mouvements populaires protestataires issus majoritairement de la jeunesse, il semblerait que le roi Mohammed VI leur ait grillé la politesse en anticipant sur des événements potentiellement déstabilisateurs.
Il faut ici reconnaître que dès son intronisation fin 1999, Mohammed VI avait lancé le pays dans une logique réformatrice en permettant le retour des opposants à Hassan II exilés puis en limogeant l’inamovible ministre de l’Intérieur Driss Basri, figure de cristallisation de toutes les critiques. Or, la logique réformatrice, après un certain état de grâce entre 1999 et 2003 à travers des mesures d’ouverture considérables -telles que l’Instance Equité et Réconciliation, chargée de solder les abus du passé- a subi une première « décélération » notable à la suite des attentats suicides de Casablanca le 16 mai 2003, à l’image de ce qui s’est produit un peu partout dans le monde après le 11 Septembre. Le Maroc n’avait pas dérogé à la règle, et l’on avait pu percevoir, ça et là, l’empreinte d’une idéologie conservatrice fortement influencée par la doctrine US, dont le grand manitou de la sécurité intérieure de l’époque, le général Hmidou Laanigri, était l’un des promoteurs les plus zélés, que ce soit à la tête de la Direction de la surveillance du territoire , puis à la tête de la Direction générale de la police . Néanmoins, ce « repli sécuritaire », n’a jamais pour autant atteint les niveaux tunisiens ou algériens, où la lutte contre le terrorisme a été érigée en raison absolue pour empêcher toute velléités de démocratisation.
Au contraire, malgré l’apparition du terrorisme dans un pays qui n’en avait jusque là connu les affres que de manière très superficielle, « M6 » comme aiment à l’appeler les marocains, va ouvrir un chantier sensible du point de vue sécuritaire, à savoir la promotion de l’égalité hommes-femmes à travers l’abrogation du code du statut personnel, la Moudawana. Cette réforme aurait pu avoir les pires conséquences en termes sécuritaires, en crispant notamment le franges islamistes, qu’elles soient salafistes ou djihadistes. Il aura fallu tout le doigté d’une commission ad hoc, ainsi que la stature et l’autorité morale du titre de « commandeur des croyants » (Amir Al Mouminine) pour que cette réforme majeure puisse, peu à peu, entrer dans les mœurs d’une société malgré tout islamo-conservatrice.
Le Maroc se voit même accorder en 2008, le statut avancé par l’Union européenne et s’engage ainsi à se mettre en conformité avec les normes en vigueur au sein de l’espace Schengen, entrant dans un processus dit de convergence réglementaire, qui a des implications majeures pour la coordination sécuritaire Nord-Sud, que ce soit en termes d’enquêtes judiciaires, d’équipes communes d’investigation, de coordination et de partage d ’informations et de renseignement . Avec le discours de Mohammed VI du 17 Juin, qui annonce la nouvelle constitution, ce partenariat stratégique sera porté à un niveau supérieur, car il reflète la capacité d’écoute du régime et son souhait d’apporter de réponses structurelles aux maux dont souffre le Maroc. Aux termes des réformes constitutionnelles annoncées, le roi a eu le courage de céder certaines de ses attributions à l’appareil exécutif tout en gardant la primauté dans tout ce qui touche les domaines militaire et religieux. Dans sa nouvelle mouture, la future Constitution consacre ainsi le principe de la séparation des pouvoirs en renforçant les attributions du chef du gouvernement qui doit être issu du parti majoritaire aux élections. Elle élargit aussi le champ d’action du pouvoir judiciaire en le dotant de son autonomie administrative et financière ce qui consolidera davantage son indépendance envers les autres pouvoirs et particulièrement le pouvoir exécutif. Elle accorde aussi des pouvoirs accrus au Parlement et énonce la plateforme juridique et réglementaire pour la mise en œuvre d’une véritable régionalisation avancée. La nouvelle constitution érigera à court terme la langue amazigh en langue officielle. Pour l’entrée en vigueur de la nouvelle constitution, un référendum est prévu dès le début du mois de juillet pour permettre aux électeurs de se prononcer sur cet important projet. A la date d’aujourd’hui, 2 millions d’électeurs sur les 12,4 millions attendus, ont déjà retiré leurs cartes électorales. Selon le ministère de l’intérieur marocain, pas moins de 320 000 employés et agents d’autorités ont été mobilisés pour gérer les 40.000 bureaux de vote implantés partout dans le pays. Même la question d’utilisation des moyens audiovisuels par les partis politiques et organisations syndicales durant la campagne référendaire qui débute le 20 juin, a été déjà réglée au détail près. Si la majorité des dirigeants des formations politiques et syndicales ayant été consultés durant la rédaction du projet constitutionnel par la commission ad hoc, s’est déclarée satisfaite de la mouture finale du projet, la réaction des jeunes du mouvement du 20 février et des associations et organisations issues de la société civile, est à scruter durant les jours et les semaines qui viennent. Un sondage d’opinion confidentiel, dont Sahel Intelligence a pu avoir copie, révèle en effet que 80 à 88 % des intentions de votes se prononceraient par un oui en faveur de la nouvelle Constitution. Là aussi il faut attendre les résultats des urnes pour pouvoir trancher définitivement sur le sort du projet constitutionnel. Pour le moment, une chose est sûre, c’est que le Maroc bouge et de manière pacifique, ce qui constitue un gage de stabilité pour la région.